Ci-dessous un entretien avec une jeune réfugiée vivant dans les Cévennes.
Samit est originaire d’Ingouchie (Russie) et va avoir 18 ans sous peu. Elle vit avec sa mère et son frère depuis novembre 2017 à St Jean du Gard. Grâce à la générosité d’une famille St Jeannaise, la famille est hébergée dans un logement indépendant. Sans papiers en s’installant ici, ils ont obtenu leurs titres de séjour en 2020, dix ans après leur arrivée en France. Nous avons voulu discuter avec Samit de cette période cruciale de sa vie.
– Tu avais quel âge quand vous êtes arrivés à Nice et quels sont tes souvenirs de ces débuts en France ? C’est à quel moment que tu as commencé à prendre conscience de votre situation de demandeurs d’asile et des tracas qu’elle entraîne ?
Quand on est arrivés, j’avais sept ans et demi. On a d’abord habité à l’hôtel pendant six mois environ. Je suis tout de suite allée à l’école et je le vivais bien. J’étais enfant et je ne comprenais pas notre situation. A l’hôtel, il y avait d’autres enfants réfugiés, j’aimais aller à l’école, ma maîtresse était sympa. J’ai été confrontée aux démarches administratives en accompagnant ma mère pour traduire. Je devais avoir 11 ans environ. Mais en fait je ne comprenais toujours pas trop notre situation. Par contre, ce que j’ai vraiment mal vécu c’est notre expulsion du CADA (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile) en 2014. En fait notre demande d’asile était encore en cours mais il y a eu un changement de directeur et la nouvelle directrice nous a expulsés. Nous étions faibles, sans père, moi qui suis malade. Quand deux fourgons de gendarmes ont débarqué pour nous faire sortir, j’ai eu très peur. Ils ont menacé de me séparer de ma mère pour me mettre dans une famille d’accueil. Il a fallu qu’on quitte les lieux tout de suite. Une amie est venue nous chercher, on a passé la nuit chez elle. Plus tard on a pu aller chercher nos affaires mais on ne pouvait pas toutes les prendre puisqu’on n’avait plus de logement.
– Et qu’avez vous fait après cette expulsion ?
En fait, depuis 2014 on vit chez des gens. On passait d’une famille à l’autre, trois mois ici, trois mois là, nous étions à trois parfois dans une minuscule pièce. Et on n’avait pas de revenus. Parfois mon frère travaillait mais sinon nous dépendions de l’aide des compatriotes et on allait aux restos du cœur. Nous n’avons jamais été privés de nourriture. C’était dur par moment quand je voyais les autres au collège avec de bonnes chaussures, j’étais envieuse mais je ne disais rien à ma mère, je ne voulais pas la peiner. C’est à ce moment que mon frère a abandonné l’école. Moi, j’ai réussi à poursuivre. Auparavant j’aimais l’école mais avec le temps et tous ces déménagements. j’en avais moins envie. Ce n’est que depuis que je vis à St jean que j’y ai repris vraiment goût.
Début 2017, nous avons déménagé, ma mère et moi, à Toulouse, chez une amie, pensant que nous pourrions obtenir un titre de séjour. Mon frère est resté à Nice. Sans logement lui aussi, il a été hébergé ici et là jusqu’à ce qu’il arrive par hasard à St. Jean où le Collectif l’a aidé. La famille qui a mis à sa disposition un logement a accepté que nous le rejoignions. Nous ne l’avions pas vu depuis 10 mois.
– Quand vous avez reçu le refus de votre demande d’asile, qu’est ce cela a signifié pour toi ?
Je n’ai véritablement pris conscience de la situation qu’à Toulouse. Auparavant, ça ne me touchait pas vraiment. Le CADA, cela avait été un moment traumatisant mais j’étais encore dans mon environnement scolaire et j’avais des amies. A Toulouse, j’étais très mal, le climat ne me convenait pas, j’étais tout le temps malade et je n’avais pas d’amies. En plus est arrivé le refus de notre demande de titre de séjour. Ma mère était effondrée et c’est là que j’ai compris toute la dimension de notre situation.
– Comment décrirais-tu ta vie depuis que tu es à Saint jean du Gard ?
Je me sens bien, c’est calme, les gens sont plus simples. Je suis plus épanouie, j’ai moins de problèmes de santé, aussi parce que je suis moins stressée. Il y a une stabilité qu’on n’avait pas avant. Quand on vivait chez des gens, je demandais l’autorisation pour tout, pour aller me doucher par exemple. Quand on est arrivés ici, j’ai demandé à ma mère « est ce que je peux aller me doucher » et elle me répond « mais pourquoi tu me demandes ça ? » et je me suis rendue compte que vraiment quelque chose avait changé, que j’étais plus libre de mes mouvements. Et puis j’avais une chambre à moi, ce que je n’avais jamais eu auparavant. C’est un bon entourage, les amies, le collectif, le village. Je suis très reconnaissante au collectif et surtout à Marie-Claire qui nous héberge.
J’ai trouvé de vraies amies ici, depuis la 3e. Je n’avais qu’une seule vraie amie à Nice. Là-bas j’étais dans un groupe d’amies toxiques qui me harcelaient, qui me disaient sans cesse que j’étais moche parce que je ne portais pas de nouveaux habits par ex., que je n’étais pas belle. J’ai fini par me dégoûter moi-même. Une fois j’étais avec l’une d’entre elle dans la rue et elle me dit : « mais regarde toi comme tu es moche ! ». Une femme d’un certain âge était derrière nous, je crois une algérienne, elle me prend le bras et me dit : « Tu es très belle ! » et elle a continué son chemin. J’étais si heureuse d’entendre ces mots !
– Tu as été confrontée au racisme à l’école ou ailleurs ?
A Nice, j’avais des profs racistes, mais dans le quartier dans lequel je vivais, les réfugiés étaient si nombreux qu’ils n’osaient pas ouvrir la bouche. Je me souviens d’une anecdote : quand j’étais en CM2 , je ne connaissais encore rien de la laïcité, de l’interdiction du port du voile à l’école, etc., je me suis amusée à aller en classe avec le foulard. Le prof m’a regardée et a crié : « c’est quoi cette merde ? » Je l’ai enlevé tout de suite et il m’a fait un cours sur la laïcité. Mais lui portait une croix, des tatouages avec des croix !
Et que penses tu de la situation actuelle, le sujet de la laïcité est revenu au devant de la scène avec les derniers évènements. Est ce que tu sens une certaine tension, une animosité à l’égard des musulmans ?
On a parlé de l’assassinat du professeur, il y a eu la minute de silence mais je ne sens pas de tension particulière. Par contre j’ai eu peur de sortir, j’ai peur d’une vengeance, à Paris deux femmes ont été poignardées peu après. Je ne me sens pas du tout en sécurité.
Et tu as de grands projets pour ton avenir…
Oui, j’aimerais devenir gynécologue. Travailler dans la médecine c’est mon rêve depuis que j’ai quatre ans. Je veux aider les autres comme d’autres m’ont aidée et m’aident toujours en raison de mes problèmes de santé. Je sais que c’est long et difficile mais je vais m’accrocher. Pour le moment je prépare mon permis. J’ai eu mon code en août et je devais commencer mes cours de conduite en novembre mais le confinement m’en a empêchée. Ce n’est que reporté…
Propos recueillis par S. du Collectif solidarité réfugiés