Deux ans après les arrivées massives de réfugiés vers l’Europe, le traitement de la question migratoire demeure toujours aussi révoltant : conditions de vie dégradantes et humiliations, enfermements arbitraires généralisés, violences tant psychologiques que physiques… Les états ne cessent de sécuriser leurs frontières pendant que les politiques de déportations se généralisent en silence. Quelques résistances et solidarités viennent cependant enrayer ce sinistre mécanisme, redonner un peu d’air dans cette pesanteur actuelle…
Vendredi 23 juin, Paris. L’expulsion d’un réfugié vers l’Afghanistan a pu être empêchée. Les militants se sont précipités vers l’aéroport Charles de Gaulle et ont accosté les passagers du vol vers Istanbul, qui devait également ramener la personne à Kaboul. Ils leur ont demandé et expliqué comment intervenir afin d’empêcher la déportation. L’homme qui devait être expulsé avait été masqué et menotté, et quand l’avion s’est déplacé il a commencé à crier, de sorte que les autres passagers se sont levés, empêchant ainsi l’avion de poursuivre son vol. Ils ont insisté pour qu’il soit descendu de l’avion. Quatre personnes devaient être expulsées depuis la France en Afghanistan cette semaine, mais grâce à leur refus, à la mobilisation des militants et aux protestations des personnes présentes dans les avions, celles-ci ont toutes pu être évitées.
Depuis l’accord conclu entre l’Union européenne et l’Afghanistan le 4 octobre 2016 afin de faciliter les retours forcés des Afghans, certains pays comme l’Allemagne, la Suède ou la Norvège ont procédé à des expulsions vers ce pays. Plus de 80 000 personnes sont potentiellement concernées, y compris les personnes vulnérables, comme les mineurs non accompagnés. Parmi les clauses de cet accord, l’UE s’engage à construire un terminal à l’aéroport de Kaboul spécialement consacré aux déportations.
Depuis décembre 2016, l’Allemagne a ainsi déporté plus d’une centaine d’Afghans à Kaboul, beaucoup d’entre eux vivaient en Allemagne depuis de nombreuses années et y avaient leurs familles. Cela a pu se passer malgré de nombreuses manifestations. Il a fallu un attentat sanglant dans le district des ambassades le mois dernier à Kaboul, où 150 personnes ont été tuées, pour suspendre temporairement les expulsions. La France, qui n’avait pas déporté de citoyens afghans pendant de nombreuses années, a finalement commencé à les expulser fin 2016. Le 29 décembre 2016, une personne a été détenue pendant 41 jours au centre de détention de Metz et ensuite transférée à Mesnil-Amelot le jour précédant son expulsion. Une autre a été libérée par un juge in extremis juste avant un vol à destination de Kaboul… Depuis le début de 2017, cette politique s’accélère. Le nombre d’Afghans dans les centres de détention est passé à 80. Dans le même temps, les expulsions sont à nouveau effectuées via la Norvège, dans le cadre des accords de Dublin. Ainsi, un jeune homme qui a été logé au Centre d’accueil et d’orientation à Marvejols a été déporté en mai vers la Norvège, qui l’a expulsé à Kaboul le 3 juin.
Le ministre de l’immigration afghane a pourtant récemment demandé à la fois à la Suède et à l’Union européenne d’arrêter instantanément les expulsions car l’Afghanistan n’est pas en capacité de s’occuper des rapatriés. 194 000 réfugiés afghans sont rentrés – volontairement ou non – au cours de ces trois derniers mois, des personnes revenant de pays voisins comme l’Iran et le Pakistan. La ministre adjointe aux réfugiés Alema Alema a adressé un appel direct à chaque ambassade européenne afin de prendre en considération la situation actuelle en Afghanistan, et que le pays ne peut pour l’instant assurer un bon accueil aux gens déportés d’Europe, en raison de l’absence de stabilité et de sécurité. C’est d’ailleurs pour cela que les jeunes afghans fuient le pays. Quoi qu’il en soit, pour le ministre suédois de la migration, Morgan Johannsson, les accords conclus par le passé entre les parties concernées demeurent et les déclarations des responsables du gouvernement afghan ne peuvent être prises en considération. Un pays si sûr que l’OTAN prévoit d’y envoyer des troupes supplémentaires…
Vendredi 23 juin, Athènes (Grèce). Des centaines de réfugiés et de militants grecs ont manifesté à Athènes pour exprimer leur opposition à la décision des tribunaux d’expulser plusieurs squats de la ville, certains servant de résidence et de lieu de vie aux réfugiés et aux migrants. Plus tôt ce mois-ci, une cour grecque avait jugé que trois squats – y compris le City Plaza, le plus connu – devaient être évacués. Les deux autres bâtiments concernés par l’expulsion sont Papouchadiko et Zoodochou Pigis 119. En partant de l’hôtel squatté City Plaza dans le centre d’Athènes, environ 700 personnes se sont rendues au ministère des Migrations sur la place Klafthmonos. Les manifestants scandaient des slogans en faveur des squats et portaient des panneaux indiquant « City Plaza est notre maison » et « Touchez pas à nos squats ». Des manifestations de solidarité ont également été organisées dans d’autres villes d’Europe : en Allemagne, en Autriche et en Belgique.
Occupé depuis avril 2016, le City Plaza est un hôtel de sept étages situé dans le centre d’Athènes qui accueille 400 personnes – dont près la moitié sont des enfants – d’une dizaine de nationalités différentes. Il possède un centre de soin, une cantine, y sont organisés des cours de langue, des ateliers pour les enfants, et bien d’autres services. Les familles vivent dans des chambres privées. Certains ont des emplois. Les enfants fréquentent les écoles grecques. Chacun joue un rôle selon ses propres capacités. Les décisions sont prises collectivement par les résidents et les militants présents, sur des principes d’auto-organisation et d’autonomie. Les comportements de type raciste, sexiste ou autoritaire ne se sont pas tolérés. Le City Plaza ne reçoit ainsi aucune aide gouvernementale ou d’ONG, il fonctionne uniquement grâce à la solidarité venue de Grèce et d’ailleurs. En une année, le squat a fourni des logements temporaires à plus de 1 500 personnes, dont beaucoup ont tout au long de l’année dernière déménagé dans des résidences en Grèce ou ailleurs en Europe.
Les squats de réfugiés et de militants offrent une alternative aux camps, dont la plupart sont surpeuplés, dangereux, dégradants et situés en dehors des villes. Dans les camps, les réfugiés dorment sur le béton, abrités uniquement par des tentes de nylon bon marché. Ils sont placés en file d’attente pendant des heures pour obtenir à manger et ont peu d’accès à l’éducation, au travail. Même les meilleurs camps isolent les réfugiés des villes, les gardent en quarantaine comme des porteurs de maladie. On peut lire dans un article sur le City Plaza : « Peut-être que le crime réel des squats est de briser cette barrière et d’amener les réfugiés de la périphérie urbaine à son cœur. City Plaza est un membre éminent d’un réseau de squats, de festivals, de centres sociaux, de bars, de cuisines solidaires et d’assemblées communautaires qui forment le tissu multiethnique et politiquement radical de plusieurs quartiers d’Athènes. Promenez-vous dans les rues d’Exarchia et vous verrez des murs griffonnés avec le vocabulaire de l’anti-autoritarisme, en arabe et en anglais, en Pashto et en grec. Vous trouverez des publicités pour les fêtes de danse syrienne étranges, les dépliants de protestation Dari, les journaux arabes remplis de poésie Mahmoud Darwish et le scepticisme envers l’État-nation. Entrez dans un bar et vous rencontrerez des gens qui parlent 15 langues, dont beaucoup sont pauvres, dont beaucoup sont sans papiers, dont beaucoup sont traumatisés, mais vivent toujours ensemble, dans une vision d’un avenir post-frontière. » Le City Plaza est ainsi plus qu’une simple solution d’hébergement. Depuis son ouverture qui faisait suite à l’opposition de nombreuses personnes en Grèce à la signature de accord UE-Turquie le 18 mars 2016, il montre des possibilités concrètes de résistance, des manières de vivre et de lutter ensemble, de défendre des principes de solidarité. Dans la capitale et ailleurs, des militants solidaires et des réfugiés ont organisé des manifestations et des événements en solidarité avec les réfugiés et les migrants, appelant à la fermeture des camps et à l’intégration complète des demandeurs d’asile dans la société et l’économie en général. Comme l’un d’entre eux disait : « Nous sommes anti-capitalistes, nous sommes contre l’impérialisme et de grandes choses comme ça. Nous croyons que si notre action ne se connecte pas à l’amélioration de la vie réelle… c’est un geste vide ».
Une video, et la présentation de l’hôtel sur le site du squat.
Dimanche 26 juin, Vintimille (Italie). Suite à l’évacuation de leur campement près de la rivière Roya effectuée sur ordre du maire Ioculano, un groupe de près de 400 personnes décide de se rendre à la frontière française. En route, la police, déployée en nombre, les empêche de passer et fait usage de tirs de lacrymogène (voir vidéo). Un grand nombre de personnes tentent alors un passage par les zones montagneuses, mettant leur vie en danger sur un terrain qu’ils ne connaissent pas. Un garçon de 16 ans originaire du Soudan s’est noyé le 13 juin dernier dans ce secteur en essayant d’attraper une chaussure qu’il avait perdue au bord de la rivière.
Côté français, un dispositif de chasse à l’homme se déploie pour rattraper les fuyards et 170 personnes sont interceptées puis enfermées plusieurs heures dans les locaux de la police à la frontière de Menton dans l’attente de leur renvoi en Italie. Les personnes expulsées se verront probablement renvoyées à l’extrême sud du pays, à Tarente, comme le veut la sanction traditionnellement infligée par les autorités pour celles et ceux qui tentent le passage.
Les locaux de la police aux frontières des Alpes-Maritimes, situés à Menton pont Saint-Louis, sont en effet utilisés par le préfet du département pour enfermer les personnes migrantes avant de les refouler en Italie. Les témoignages d’observateurs locaux et de personnes migrantes indiquent que le 1er étage de la gare de Menton Garavan est également utilisé comme lieu d’enfermement. Plusieurs associations de défense des étrangers ont récemment saisi le tribunal administratif de Nice afin de faire cesser ces atteintes aux libertés et ces pratiques illégales. (voir ici et là).
Mardi 27 juin, Mineo (Italie). Une manifestation a eu lieu au Cara (Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile) de Mineo proche de Catane en Sicile. Environ 300 personnes ont bloqué l’axe routier principal Catane-Gela situé près de l’entrée du centre pour protester contre les nouvelles règles locales. Les autorités ont annoncé l’interdiction aux migrants de cuisiner des aliments différents de ceux fournis par le Cara et de vendre des vêtements à l’intérieur de la structure. De plus, des problèmes plus anciens comme les retards dans la réception des permis de séjour et le versement de la diaria (allocation journalière) en paquet de cigarettes au lieu de l’argent ont renforcé la colère contre le directeur de la structure, Giuseppe Di Natale.
Il y a environ 3500 réfugiés au camp actuellement. Le vaste complexe, une ancienne base militaire américaine, composées de 403 petites maisons rose et jaunes avec des rues qui évoquent la banlieue américaine, a accueilli près de 4 000 personnes dans le passé. Au-delà des clôtures barbelées tranchantes encerclant le camp, les migrants sont divisés par origine ethnique et religieuse, dorment à plusieurs dans une même pièce sur un matelas en mousse, mangent dans la cantine ou cuisinent avec de petites poêles électriques dans leurs jardins à l’arrière des maisons. Les résidents vendent des vêtements, de la nourriture, des cigarettes – celles là même qui leur sont distribuées mais vendues à une valeur inférieure – et des cartes téléphoniques dans les bazars parsemés du centre. Il y a même un restaurant illicite et un service de taxi mené par des migrants. Une partie de leur allocation journalière (4,5 euros) est souvent envoyée aux familles et aux proches. Le recours au travail non déclaré pour des tarifs de l’ordre de 10 à 15 euros pour 9 à 10 heures de travail ou à la prostitution devient alors une obligation.
Cette manifestation vient dans un contexte local tendu où de nombreuses personnes souhaitent la fermeture du centre, malgré des raisons parfois diamétralement opposées à celles des personnes en dénonçant les mauvaises conditions. Les groupes politiques locaux d’extrême droite n’ont de cesse d’attiser la haine raciale par des campagnes médiatiques – d’ailleurs largement reprises dans la presse nationale – stigmatisant les réfugiés comme responsables d’agressions, de trafics de drogue, ou de voler le travail aux habitants locaux. Un récent rapport du médiateur national des droits des personnes détenues ou privées de liberté vient de dénoncer les mauvaises conditions de vie et le manque de respect des droits fondamentaux des personnes détenues dans les différents centres du gouvernement italien. Le rapport préconise la fermeture immédiate du centre de Mineo le désignant comme « un cas d’école des contradictions et des limites inhérentes à une approche sans succès de la migration et de la gestion de l’accueil. » Il pointe également la collusion entre les intérêts politiques et mafieux liés à la gestion du centre, un fonctionnement opaque, et de nombreuses zones de non-droit. L’ouverture du centre en 2011 a en effet servi à engraisser une grosse entreprise dans laquelle est impliquée la mafia de la capitale sicilienne, celle-ci étant notamment en charge de la distribution des repas et des services dans le centre. C’est ainsi que lors d’une réunion entre la préfecture et des responsables locaux, deux nouvelles règles ont été établies : l’interdiction de cuisiner dans les logements et de vendre des biens à l’intérieur du centre. La situation dans le Cara est gangrenée et les conditions réelles dans lesquelles sont forcés de vivre des milliers de demandeurs d’asile ne trouvent que peu de relais à l’extérieur.
Mercedi 28 juin, Lesvos (Grèce). Quatre personnes emprisonnées au camp de Moria, situé sur l’île de Lesvos, ont entamé une grève de la faim pour protester contre leur emprisonnement arbitraire et exiger la liberté de tous ceux qui sont détenus dans l’île. Une personne, dont le frère fait partie des grévistes de la faim à Moria, les a rejoint de la place Sappho le 29 juillet 2017 et a partagé la déclaration suivante :
“Je demande la libération immédiate de mon frère, et les trois autres qui sont en grève de la faim dans la prison de Moria. Nous demandons que le service d’asile grec et les Nations-Unies entendent nos voix, ceux-ci sont restés sourds depuis trop longtemps.
Comment osez-vous lancer les beaux slogans des droits de l’homme? Comment osez-vous parler d’humanité, du droit et de la démocratie? Comment osez-vous condamner les violations des droits de l’homme dans d’autres pays lorsque vous commettez vous-mêmes des violations des droits de l’homme ici?
Nous sommes venus en Europe pour la protection. Nous sommes venus parce que nous avons été blessés, parce que nous avons été torturés, parce que nos vies étaient en danger. Mais au lieu de nous montrer de la miséricorde, vous nous traitez comme des criminels. Le fils de fer et les cellules de prison ne sont pas le bon endroit pour les réfugiés.
Depuis le jour où nous avons fui l’enfer, nous étions endurants dans nos pays d’origine mais devenus des réfugiés dans l’Europe prétentieuse, nous avons subi les pires types de torture psychologique. Nous avons été humiliés et battus par la police. On nous a refusé le droit au travail et, si nous travaillons, nous sommes exploités. Notre dignité humaine nous a été extirpée. Au cours de l’hiver à Moria, les gens sont morts du froid et de la faim la nuit, gelés dans de fines tentes pendant des mois. Nous avons vu nos familles mourir à côté de nous et vous n’avez rien fait.
L’emprisonnement de mon frère A.H. est une violation de ses droits humains fondamentaux. Il a été en prison pendant 2 mois. Pour quel crime ? Sur quelle base juridique ou éthique pouvez-vous justifier l’arrestation et la détention ?
Mon frère A. et moi-même sommes d’Iran. B.A. et K.H. est originaire d’Irak. T.I. vient de Syrie. Ils sont tous en grève de la faim depuis d’hier, et aujourd’hui, le 28 juin 2017, je les ai rejoints. Nous resterons en grève de la faim jusqu’à ce que vous répondiez à notre demande.
Celle-ci est simple. C’est une exigence de dignité humaine fondamentale. Nous vous demandons de libérer tous les réfugiés en prison à Lesvos qui n’ont pas été accusés ni reconnus coupables d’un crime. Nous demandons à l’Europe d’arrêter de maintenir les réfugiés en détention.”
La pratique illégale consistant à détenir les personnes qui demandent une protection internationale est depuis quelques mois institutionnalisée et fait partie des conséquences de la signature de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie. Le service d’asile grec détient automatiquement des requérants dont les demandes de protection initiales ont été rejetés et détient arbitrairement des personnes de certaines nationalités pendant toute la durée de l’instruction des dossiers.
Le droit international interdit pourtant la discrimination fondée sur la nationalité ainsi que l’arrestation et la détention arbitraires. Il prévoit également que les détenus ont le droit de contester de manière significative toute privation de liberté. Tous ces droits sont systématiquement bafoués à Lesvos. La détention administrative aveugle contrevient également aux exigences procédurales du droit grec et de l’UE qui interdisent explicitement la détention des détenus pour le seul motif qu’ils ont demandé une protection internationale. Les détenus en grève de la faim dans le camp de Moria n’ont pas été accusés ni reconnus coupables d’un crime. Ils n’ont rien fait de plus que demander l’asile. (article repris et traduit à partir du Legal Centre Lesbos)