Violences policières, enfermements, humiliations, conditions de vie déplorables sont le quotidien de qui traverse l’Europe en n’ayant pas les bons papiers. Ces chroniques, loin d’être exhaustives, reflètent une réalité peu dévoilée dans les médias officiels, celle de la guerre que les exilés rencontrent en Europe, celle de la volonté répressive d’empêcher celles et ceux que l’on qualifie d’« illégaux » d’entrer dans la forteresse. Elles se veulent aussi un témoin des luttes existantes menées contre les frontières, afin que celles et ceux qui se battent au quotidien pour vivre librement puissent être à minima entendu.
Vendredi 4 novembre, Paris. L’expulsion des campements de Stalingrad où plus de 3000 personnes vivaient dans la rue a eu lieu très tôt ce matin. Près de 600 policiers étaient présents afin de faire monter celles-ci dans des bus dont personne ne connaissait la destination. Cette expulsion se déroule peu de temps après le démantèlement de la jungle de Calais où le même procédé d’isolement, de tri et d’invisibilisation avait déjà eu lieu.
Samedi 5 novembre, Marseille. Environ 400 à 500 personnes sont venues ce matin à Marseille pour faire taire le rassemblement « anti-migrant » du Front National prévu devant la préfecture et affirmer dans la rue, publiquement, les libertés de circuler et de s’installer pour toutes les personnes.
Dimanche 6 novembre, Bruges (Belgique). Une vingtaine de détenus du centre fermé ont refusé de remonter dans leur cellule après leur promenade afin de protester contre les propos violents d’un gardien. Après une réunion avec le directeur la tension s’est apaisée et quatre des protestants ont été transférés dans d’autres centres. Les détenus à Bruges dénoncent des soins médicaux manquants et la prescription de calmants à la demande, le manque d’hygiène, des propos désagréables et agressifs du personnel.
Lundi 7 novembre, Vottem (Belgique). Plus de la moitié des retenus du centre fermé de Vottem entament une grève de la faim. Ils protestent contre des traitements médicaux non adaptés (les tranquillisants, somnifères et anti-douleurs sont distribués par les gardiens sur simple demande mais les rendez-vous médicaux importants ne sont pas respectés), la même nourriture est servie chaque jour en quantité insuffisante, l’agressivité des gardiens et les placements en isolement. Beaucoup de personnes sont enfermées depuis 8, 9, 10 voire même jusqu’à 11 mois. En effet, dès qu’une personne change de centre fermé en Belgique, ou qu’elle refuse une expulsion, les « compteurs sont remis à zéro », ce qui permet d’allonger la durée légale de détention. Certaines personnes ont ainsi passé plus d’un an, sans discontinuité, dans divers centres fermés. Les effets psychologiques de détentions aussi longues sont dévastateurs sur les personnes.
Mardi 8 novembre, Trento (Italie). On apprend dans les quotidiens locaux que la nuit du 7 au 8 novembre, à Trento, neuf voitures du service commercial de la Poste italienne ont été incendiées et complètement détruites. Sur place n’a été retrouvé aucun tag revendiquant l’incendie. Ces derniers mois, plusieurs biens appartenant à la Poste (distributeurs de billets, vitres des agences, etc.) ont été pris pour cible suite à l’implication de l’entreprise, à travers sa filiale Mistral Air, dans les déportations forcées de migrants.
Mercredi 9 Novembre, Tanger (Maroc). Beaucoup de personnes ont été arrêtées par la Boumla (la police) lors d’une rafle à Boukhalef et dans la Medina de Tanger. L’une d’entre elles estime qu’il y avait plus de 80 personnes au commissariat de police, dont des personnes avec des papiers de l’UNHCR ou/et des passeports valides. Les femmes ont été libérés le soir, les hommes ont été maintenus toute la nuit. Le lendemain matin beaucoup ont été libérées mais 18 personnes ont été déportées à Fez, à plus de quatre heures de route. Souvent la police prend possession des téléphones, documents et argent que les retenus ont sur eux. Ainsi lors de leur libération après leur déportation ils n’ont plus rien pour essayer de revenir à Tanger. Ces arrestations et déportations arbitraires par la Boumla sont les réalités du terrain pour toute personne considérée comme subsaharienne même si elle possède le bon document.
Le samedi 12 novembre 2016, la police a expulsé le camp mis en place par les migrants, connu sous le nom de « forêt » autour de la zone de Boukhalef. Cela c’était déjà produit il y a un an après la « campagne anti-squat » massive, où les migrants subsahariens furent chassés de leurs maisons à Boukhalef, qu’ils aient ou non un contrat de location. Cette campagne avait laissé beaucoup de personnes sans-abri et, par conséquent, certains avaient été forcés de mettre en place des camps de fortune dans la région, laissant les gens encore plus exposés aux intempéries et aux harcèlements policiers. Suite à cela, les gens avaient réussi à reconstruire un camp apte à vivre, avec des aires de cuisine et des abris bien construits. Tout cela a été détruit pendant le raid ce 12 novembre 2016 avec les biens personnels des gens, les laissant sans rien. Certains séjournent maintenant temporairement dans les maisons d’amis, tandis que d’autres restent encore dans « la forêt ». La reconstruction du camp a commencé avec tout le matériel qu’il a été possible de trouver dans la région, avec quelques couvertures données par des organismes de bienfaisance locaux. Cependant, le raid récent a laissé les gens dans l’incertitude quant à ce à quoi s’attendre, et si d’autres raids suivront.
Venderdi 10 novembre, Merksplas (Belgique). 20 détenus du centre fermé entament une grève de la faim et protestent contre la nourriture insuffisante, les fouilles quotidiennes et systématiques, le racisme et la maltraitance, l’absence de droits, les mises au cachot systématiques.
Vendredi 10 novembre, Belgrade (Serbie). Durant la nuit du 10 novembre, vers 3 heures du matin, 250 policiers et forces spéciales ont encerclé les entrepôts derrière la gare routière, où les migrants trouvaient refuge ces derniers mois. Les policiers ont menacé les gens que, s’ils refusaient d’entrer dans les autobus présents sur place, alors qu’ils n’en connaissaient pas la destination, ils seraient expulsés. Une centaine d’entre eux dans l’incapacité de s’échapper ont été raflés et ont été placés dans un camp fermé à Preševo, dans le sud de la Serbie, où les gens sont régulièrement déportés en Macédoine. Après cette opération, un climat de peur a été créé, les gens ne sachant plus où se cacher, incapables de s’endormir en partie à cause du froid, mais aussi en raison de la crainte constante qu’ils puissent être arrêtés à tout moment.
Pour cette raison, environ 150 personnes ont dès le lendemain entamé une manifestation pacifique en marchant le long de l’autoroute et des voix ferrées vers la frontière croate. La distance qui sépare Belgrade de la frontière est d’environ 120 kilomètres… En dépit des conditions très difficiles (froid, pluie, de nombreuses blessures reçues de la police des frontières, manque d’équipement et de nourriture), le cortège a pu atteindre au bout de quelques jours de marche la zone frontalière au niveau de la ville de Tovarnik. Tout au long du parcours, la police a exercé une pression constante sur les manifestants, leur disant de retourner au camp « où était leur place », mais aussi en interdisant aux organisations de soutien de leur venir en aide. Elle a par exemple fait fermer des stations services sur la route, les empêchant ainsi de se ravitailler. La police Serbe est devenue de plus en plus violente à mesure que les migrants approchaient de la frontière, allant même jusqu’à attaquer très violemment les migrants et des militants présents, ou en les empêchant d’allumer des feux la nuit pour se réchauffer alors qu’ils dormaient dehors par des températures bien inférieures à zéro degrés. La police a essayé de les persuader de revenir à Belgrade, mais les manifestants ont refusé de négocier. Le 14 novembre, à la fin d’une journée frénétique en provocations et menaces constantes de la police, les migrants ont été contraints de revenir à la gare de Sid où ils ont été encerclés par la police. A 4 heures du matin, tous les gens ont du monter dans le train qui à six heures du matin est arrivé à Belgrade.
Par leur action et par leur voix, ils ont dénoncé la violence du régime frontalier et se sont fait entendre. Ils ont fait savoir qu’ils ne sont pas impuissants et qu’ils ne veulent pas se mettre en ligne pour la charité, qu’ils continueront leur combat pour la liberté. La situation en Serbie s’aggrave chaque jour et, à mesure que l’hiver approche, le besoin augmente. Actuellement, plus de six mille migrants sont bloqués en Serbie selon les chiffres officiels, dont plus d’un millier seulement à Belgrade, sans que les besoins fondamentaux soient couverts tels qu’un toit, des équipements sanitaires, une bonne nutrition, et surtout en étant traités quotidiennement comme des personnes « inférieures ».
Samedi 12 novembre, Rome (Italie). Un cortège de plus de 3000 personnes manifeste dans les rues de Rome afin d’atteindre le ministère de l’intérieur. Des slogans sont criés dans de très nombreuses langues et affirment « Ni frontières ni expulsions ! ».
Mardi 15 novembre, Murcia (Espagne). Neuf retenus du centre de rétention se sont échappés après avoir mis le feu et provoqué un début d’émeute, blessant plusieurs policiers. Plus de 70 personnes s’étaient déjà échappées de ce centre le mois passé.
Mercredi 16 novembre, Marseille. Suite à la nouvelle mobilisation des demandeurs d’asiles de ce matin exigent une place d’hébergement en CADA tel prévue par la loi, l’Office National de l’Immigration et de l’Intégration promet d’héberger les demandeurs, sous 40 jours… En attendant l’hiver commence et leur seule solution reste la rue. Les demandeurs d’asile mobilisés ont rédigé un communiqué et souhaitent le partager :
« Sans réponse de l’OFII 10 jours après notre dernière mobilisation devant ses bureaux, nous nous sommes à nouveau rassemblés au 61 boulevard Rabateau ce matin-même, à partir de 10h, afin de demander le logement en CADA (Centre d’accueil des Demandeurs d’asile) auquel nous avons droit et dont l’attribution traîne depuis des mois (parfois plus d’une année). Cette fois-ci nous avons pu nous entretenir avec le directeur de l’OFII, qui nous a dit avoir bien pris connaissance de nos revendications et nous a promis de nous proposer des solutions de logement dans les 40 jours à venir, à Marseille ou dans les alentours. L’ensemble des personnes présentes, une cinquantaine, majoritairement des demandeurs d’asile afghans, pakistanais et soudanais, dont quelques familles, se sont identifiées sur une liste nominative en faisant référence à leur numéro de demandeurs d’asile. Il va sans dire que durant ces 40 jours de recherche de solutions promises, nous n’avons toujours pas de solution d’hébergement : c’est le début de l’hiver et dans la rue, c’est la loi du plus fort que nous subissons. Nous avons toutefois décidé d’accorder notre confiance au directeur de l’OFII, respectueux du travail de l’administration et du droit français. Réciproquement, nous attendons que nos droits soient aussi respectés et qu’il tienne les engagements pris à ce jour devant nous. Dans 40 jours, nous ferons un nouveau point public de la situation pour les personnes signataires de la liste. » Le groupe d’Afghans.
Mercredi 16 novembre, Rennes. Les retenus du Centre d’accueil et d’orientation entament une grève de la faim. La promesse qui leur a été faite au départ de Calais de ne pas appliquer de procédure Dublin semble ne pas être tenue. Par cette grève et par le boycotte du peu d’activités proposées par les gestionnaires du centre (Coallia), les retenus entendent faire réagir les responsables administratifs et obtenir qu’ils viennent en personne leur apporter des réponses sur leur situation, le respect de leur droit, et ainsi les sortir de l’incertitude quant à leur avenir.
Vendredi 18 novembre, Bruges (Belgique). Six détenus ont tenté de s’évader du centre fermé de Bruges. Quatre d’entre eux ont réussi et sont libres. Deux ont été retenus par les gardiens. Ils ont découpé le grillage d’une fenêtre avant de monter sur le toit, puis de sauter sur la voiture d’un gardien et de fuir à pied.
Samedi 19 novembre, Istanbul (Turquie). Plus de 120 personnes ont réussi à s’échapper du centre de rétention de Kumkapı, après avoir déclenché un incendie dans leurs cellules. Pendant que les pompiers s’efforçaient d’éteindre le feu, les retenus franchissaient la porte de la cour et s’enfuyaient malgré les policiers qui tiraient en l’air avec leurs armes. 20 d’entre eux ont ensuite été capturés par la police lors de perquisitions dans le quartier et au moins trois personnes ont été amenées à l’hôpital.
Kumkapı est l’un des plus anciens centres de rétention en Turquie, avec des conditions d’hébergement déplorables et une corruption qui prive les migrants de leurs droits fondamentaux. Le nombre de migrants dans les prisons et les centres de déportation en Turquie tend à augmenter notamment depuis l’accord UE-Turquie, qui exige que cette dernière mette en œuvre tous les moyens pour empêcher la migration irrégulière vers l’Europe. La Turquie, en tant que gardien engagé de la Forteresse Europe, distingue les migrants autorisés à vivre ou à se déplacer librement et condamne les autres à se maintenir au niveau de la survie ou à être étiquetés comme « illégaux » ou « criminels » et recueillis dans les centres de déportation avant d’être expulsés. Parmi les migrants qui se sont libérés avec le feu de Kumkapı, beaucoup étaient Afghans ou Pakistanais, et avaient été emprisonnés malgré leur recherche de vie meilleure, laissant derrière eux les conditions désespérantes de la pauvreté, de la violence, de la discrimination ou des pressions politiques dans leurs pays respectifs.
Peu d’informations sont données sur ce qui se passe dans les centres de détention en Turquie, la situation a empiré après la récente vague de répression et la solidarité est sévèrement restreinte. Le 4 Décembre 2015, une émeute et un incendie avaient eu lieu dans le même centre de rétention à Istanbul. Le 28 Décembre 2015, un soulèvement avait éclaté dans le centre d’Erzurum. L’intervention de la police anti-émeute avait été très violente : trois jours après les autorités avaient communiqué le décès pour cause de « suicide » d’un demandeur d’asile kurde de vingt ans originaire de Syrie.
Jeudi 24 novembre, Harmanli (Bulgarie). Des affrontements très violents ont eu lieu entre une centaine de migrants et la police dans le centre de détention de Harmanli, près de la frontière turco-bulgare. Les émeutes ont duré des heures et les policiers ont utilisé matraques, flashballs, canons à eau, gaz lacrymogènes et ont même jeté des pierres sur quelques personnes révoltées. Une fois la situation calmée, la police a pénétré dans le camp et a sévèrement battu sans distinction tous les adultes et adolescents pendant plus de deux heures dans leurs propres chambres, même ceux qui n’avaient pas participé à la révolte. Un jeune Afghan de 15 ans frappé au crâne fut amené à l’hôpital dans une situation critique. Le secrétaire général bulgare de l’Intérieur, Georgi Kostov, a déclaré que plus de 200 personnes du camp (400 selon d’autres sources) ont été placées en détention mais on ne connaît pas le nombre de blessés.
A l’origine de révolte, la décision deux jours avant de mettre en quarantaine l’ensemble des 3000 personnes vivant dans le camp, après que la population locale, suscitée par les partis et organisations fascistes, ait protesté contre le centre prétextant qu’il était une source de maladies. Bien qu’une inspection ait prouvé que ce n’était pas le cas, le camp a été littéralement assiégé par la police et les gens furent interdit de sortir alors que le centre n’est pas fermé et que les sorties sont normalement autorisées.
Le traitement des migrants en Bulgarie est particulièrement brutal. Des personnes ont été tuées à la frontière avec la Turquie où une clôture massive a été récemment construite. Les cas de passages à tabac, les traitements dégradants et la brutalité sont une réalité quotidienne. Le 2 novembre, une grève de la faim avait été suivie par plus de 200 personnes retenues dans le centre de Busmantsi afin de protester contre les mauvaises conditions matérielles, d’hygiène, de soins, la mauvaise qualité de la nourriture et des discrimination dans le traitement des demandes d’asile. Tout ça se passe dans une atmosphère où les médias, sans exception, délivrent des messages racistes et anti-migrant et où s’opposer aux fascistes et aux nationalistes à n’importe quel niveau devient de plus en plus difficile.
Samedi 26 novembre, Mytilène (Grèce). Plus de 300 personnes manifestent dans la principale ville de Lesbos après qu’un incendie se soit encore déclaré la veille dans l’un des camps de l’île qu’au moins deux personnes soient décédées. Environ 6000 personnes sont entassées à Lesbos survivant avec le froid et le manque de nourriture, dans l’attente du traitement de leur demande d’asile et de pouvoir quitter cet endroit de non-vie. Cette manifestation était organisée par les réfugiés et le Noborder Kitchen, afin de revendiquer leur droit à la liberté et d’attirer l’attention sur la situation désastreuse que subissent les réfugiés coincés sur les îles Grecques.
Mercredi 30 novembre, Szeged (Hongrie). Le procès de Ahmed H. s’est tenu ce jour dans le sud de la Hongrie et dans les conditions prévues dans le cadre des lois anti-terroristes (chaînes aux pieds et aux mains, escorte policière cagoulée). Ahmed H. est l’une des 11 personnes a avoir été arrêtée et poursuivie suite aux affrontements qui eurent lieu à Röszke lors de la fermeture de la frontière Serbo-Hongroise le 16 septembre 2015. Les charges retenues contre lui sont le franchissement illégal de la frontière et la commission d’acte de terrorisme. Une peine de 10 années de prison a été requise contre lui.