Chroniques d’une lutte permanente… (fin octobre)

Mardi 18 octobre, Madrid (Espagne). Dans le CIE (centre de rétention) du quartier d’Aluche de Madrid, qui a une capacité de 214 places dont actuellement 93 occupées, une révolte a éclaté et une quarantaine de détenus ont réussi à se frayer un chemin, après avoir couvert les caméras et forcé une porte de sécurité, sur le toit de la structure. La police a complètement bouclé la zone pour empêcher les prisonniers de s’évader et les soutiens de se rapprocher. Les routes adjacentes au CIE ont été maintenues fermées toute la nuit à la circulation. Sur place en quelques minutes, sont intervenues unités de PTINC (police anti-émeute) et l’EPU (unités spéciales). Les détenus ont continué leur protestation en passant la nuit sur le toit du camp, ont affiché une banderole et crié des slogans tels que « liberté » et « dignité ». Après 12 heures et de longues négociations avec la police, ils sont retournés à l’intérieur du CIE le lendemain matin. Malgré la garantie qu’il n’y aurait pas de conséquences à cette révolte, ont commencé les représailles des agents de police. Les détenus ont été attaqués et frappés, même ceux qui n’avaient pas participé à la manifestation. Un garçon, qui était dans sa cellule quand la révolte a éclaté, a dit qu’il a été battu : “Ils ont battu tout le monde, tout le monde.” Le lendemain, tous les détenus ont été enfermés dans leurs cellules avec la lumière allumée pendant 24 heures et n’ont pas été autorisés à passer des appels téléphoniques. Les autorités, comme d’habitude ont tenté de minimiser ce qui est arrivé, mais le directeur de la police a dû admettre que trois migrants ont dû consulter un médecin pour leurs blessures. Le ministre de l’Intérieur a veillé à ce que les détenus soient néanmoins expulsés d’Espagne, suivant les directives européennes. Le 21 octobre, toutes les personnes détenues dans le CIE d’Aluche ont commencé une grève de la faim afin de protester contre les mauvais traitements. Plusieurs groupes solidaires ont appelé à une manifestation le 22 Octobre en face du centre de rétention en soutien à la grève de la faim et pour la fermeture du camp.

Jeudi 20 octobre, Saint Dalmas de Tende. Le bâtiment occupé depuis le début de la semaine par une soixantaine d’exilés et de personnes solidaires est expulsé. Cet ancien local de la SNCF était destiné à permettre une halte aux voyageurs venant de traverser la frontière par les montagnes frontalières de la Roya avant qu’ils ne reprennent leur route. Sur les lieux étaient présents policiers, gendarmes, douaniers, représentants de la préfecture des Alpes Maritimes, et le procureur de la République. Les exilés majeurs ont pu prendre la fuite avant l’expulsion, craignant pour leur sécurité, et seuls sont restés une quinzaine de mineurs qui furent « pris en charge » par les autorités. Quatre personnes solidaires ont été placées en garde à vue. Deux d’entre elles passeront en procès à Nice le 23 novembre pour occupation illégale de lieu privé et aide au séjour irrégulier. Un rassemblement de soutien est annoncé ce jour là.

Vendredi 21 octobre, Marseille. Le squat de la rue Sainte qui était notamment occupé par des mineurs isolés est expulsé. Ironie du sort, ce lieu accueillait des personnes qui étaient elles-mêmes envoyées par les institutions, à savoir le conseil départemental et l’Addap13 (association mandatée par ce dernier). Un rassemblement devant l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) a eu lieu le jour même.

Samedi 22 octobre, Paris. Une manifestation des exilés des campements de l’avenue de Flandres et de Stalingrad a lieu pour dénoncer les rafles, la destruction des tentes, des affaires et des documents d’identité, l’entrave systématique au droit d’asile, la criminalisation des sans-papiers, le règlement Dublin, les arrestations arbitraires, le régime carcéral auquel sont soumis les étrangers, les violences policières, l’oppression systématique et raciste des étrangers, et la destruction de leur vie.

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Samedi 22 octobre, Menton. Un jeune homme de nationalité Soudanaise est décédé dans la nuit de vendredi à samedi en tentant de traverser l’autoroute au niveau du viaduc de Sainte-Agnès. Il a été percuté par une automobiliste alors qu’il évitait les contrôles policiers sur les autres accès.

Dimanche 23 octobre, Barcelone (Espagne). 68 personnes parmi les 182 détenus du CIE de la Zona Franca de Barcelone, ont commencé une grève de la faim, refusant le déjeuner et le dîner, et sont restés en signe de protestation dans la cour, refusant d’entrer dans les cellules. Compte tenu des expulsions prévues dans les prochains jours, les détenus ont décidé de poursuivre leur lutte pour exiger leur libération immédiate.

Lundi 24 octobre, Lesbos (Grèce). Des réfugiés ont mis le feu aux bureaux de l’EASO (Bureau Européen de traitement des demandes d’asiles) dans le camp de Moria en signe de protestation. Cet office est responsable de traiter les demandes sur l’île, et est censé organiser les inscriptions et les entretiens des personnes. En réalité, les processus d’asile sur Lesbos sont insupportablement lents. Certaines personnes attendent maintenant depuis 9 mois sans avoir obtenu un seul rendez-vous. Des centaines de personnes à Moria ont protesté contre ce traitement de l’Union européenne. En outre, ils ont protesté contre les expulsions qui ont régulièrement lieu à Lesbos. Selon les médias, la moitié des bureaux ont complètement brûlé. Plus tard dans la journée la police a commencé à arrêter plusieurs personnes qu’elle soupçonnait d’être impliqué dans l’incendie. Alors que l’incendie des bureaux de l’EASO était un acte de résistance pour la liberté, la police s’est servi de cette révolte pour augmenter la répression une fois de plus.

Lundi 24 octobre, Calais. Début de l’opération de démantèlement de la jungle de Calais qui prendra officiellement fin le 26 octobre. A l’évidence, seules les images des personnes quittant la jungle volontairement sont publiées pour faire le tour du monde ; la destruction des habitations pouvant ainsi passer pour une grande opération humanitaire. Mais de nombreuses personnes ne sont pourtant pas montées dans les bus et ou ne voulait pas le faire. Deux manifestations des femmes réfugiées attesteront de cette volonté dès les premiers jours, et leur revendication est claire : « Nous voulons aller en Angleterre », crient-elles. Ce sera donc plus d’un millier de policiers déployés, une zone bouclée en état de siège (un arrêté préfectoral prévoit des peines allant jusqu’à de 6 mois d’emprisonnement et 7500 € d’amende pour toute personne non autorisée sur les lieux), des contrôles aux faciès dans tout le Calaisis mais aussi dans les différentes gares y menant, des rafles et des arrestations en centre de rétention, des milliers de personnes amenées dans des centres de tri sur tout le territoire dans l’attente d’être expulsées pour grande partie, des mineurs non pris en charge et contraints de rester à la rue… Ce sera également la destruction d’un vaste espace de vie collective où les exilés pouvaient, malgré les conditions difficiles, échanger, s’informer et s’organiser de manière autonome. Des rassemblements et des manifestations de solidarité auront lieu durant toute la semaine partout en France, et dans d’autres pays d’Europe, afin de dénoncer cette vaste opération militaire, de rappeler que la médiatisation ne doit pas masquer le fait qu’aucune réponse n’a été apportée au problème de la fermeture des frontières, et que la vigilance et la solidarité seront de mises dans les jours suivants afin de maintenir le contact avec les personnes déportées.

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Jeudi 27 octobre, Foggia (Italie). Une fois encore, les demandeurs d’asile du CARA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) de Borgo Mezzanone, village situé à 15 km de Foggia, sont descendus dans les rues pour exprimer leur colère contre les conditions déplorables du centre et le nombre croissant de refus de demandes d’asile. Dans la matinée, plusieurs centaines de personnes ont endommagé des véhicules de police et des parties du bâtiment. Comme d’habitude dans un court laps de temps, il a fallu l’intervention massive de la police, carabinieri, la police des finances, police anti-émeute pour stopper la révolte. Les revendications à la base de la manifestation portaient sur la reconnaissance de la protection internationale face à un pourcentage toujours plus important de refus des demandes, condamnant les gens à l’exploitation et à la misère sauvage ; la possibilité de cuisiner ses propres repas, compte tenu de la mauvaise qualité de la nourriture reçue ; le décaissement de l’argent de poche auxquels les détenus ont droit, et non pas le versement de cartes d’appel téléphonique comme c’est le cas pour le moment ; le transport gratuit pour se rendre à Foggia dans les conditions prévues par la loi, à l’heure actuelle, il n’y a que quatre voyages par jour pour un seul bus, pour près de deux mille personnes ; le chauffage dans les unités de vie, vu l’arrivée du froid et les conséquences sur la santé des résidents.

Samedi 29 octobre, Rome (Italie). Un rassemblement de soutien est organisé devant les murs du CIE de Ponte Galeria en solidarité avec les femmes enfermées. Etre présent devant ces murs, avec sa voix et son corps, est l’un des moyens de briser le silence et l’isolement autour de cet endroit. Une façon de rester en contact avec les femmes détenues, et de raconter leurs histoires et les conditions de plus en plus difficiles dans lesquelles elles sont contraintes de vivre, de la mauvaise nourriture à la quasi absence de soins de santé. Précisément pour cette raison, comme cela arrive souvent à chaque fois qu’ils savent qu’un rassemblement aura lieu, les geôliers enferment les femmes dans leurs chambres le matin, et il est donc plus difficile pour elles d’écouter ce que les soutiens ont à leur dire, et de répondre à leurs demandes. Néanmoins, pendant quelques minutes, les détenues ont réussi à se faire entendre au-delà de leurs cages. Le rassemblement a pris fin avec un jet de balles de tennis avec des numéros de téléphone pour rester en contact, et des feux d’artifice comme un salut final. À l’heure actuelle, le CIE de Ponte Galeria détient environ 70 femmes, dont beaucoup sont nigérianes et souffrent plus particulièrement des rafles et des déportations en raison des accords bilatéraux passés entre l’Italie et le Niger sur les expulsions.

Lundi 31 octobre, Paris. Après l’évacuation de la jungle de Calais la semaine dernière, ce sont les campements parisiens qui sont la cible de la répression. Ce matin a en effet eu lieu la énième rafle parisienne. Mais cette fois la mairie et le gouvernement clament leur volonté d’éradiquer totalement les campements et donc la solidarité collective qui permet de survivre dans la rue. Malgré les nombreuses forces de police présentes sur les lieux afin de trier, rafler et déporter les personnes du camp, et leurs violentes charges à coup de matraques et lacrymos, la foule présente sur place rejoint par des soutiens réussit à maintenir sa présence. Pendant près de deux heures, une sorte de face-à-face s’organise. Les habitants du campement restent là avec tentes, matelas et autres objets qu’ils ont pu récupérer, bien décidés à ne pas bouger et réoccupant petit à petit la route. Les flics font plusieurs tentatives pour repousser tout le monde sur les trottoirs et finalement, débordés et ne pouvant visiblement compter sur du renfort, reçoivent l’ordre de quitter les lieux.

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Lundi 31 octobre, Ceuta (Espagne). Une foule de plus de 200 personnes a pris d’assaut la frontière entre le Maroc et le territoire espagnol de Ceuta à l’aube, affrontant des policiers puis se frayant un chemin à travers les deux murs de fils barbelés de six mètres de haut. Une trentaine d’entre eux ont été blessés et hospitalisés.

Mercredi 2 novembre, Calais. Départ des mineurs hébergés dans le camp de containers mis en place par décision de l’État à côté du bidonville de Calais maintenant rasé. Sur l’ancien site du bidonville, le ballet des pelleteuses déblayant les derniers débris et des camions les emmenant croise celui des autocars qui viennent prendre et emmènent les jeunes vers une destination qu’ils ne connaissent pas ou n’ont pas comprise. En milieu de matinée, l’association qui gère à la fois le camp de containers et le lieu de mise à l’abri des femmes et des enfants, à quelques centaines de mètres de là, s’aperçoit que les deux ne sont pas des mondes étanches, qu’il peut y avoir une sœur ici, un frère là, la mère et les enfants petits à Jules Ferry et le fils adolescent dans les containers, ou un mari quelque part dans les bosquets environnants puisque le bidonville a été détruit. Une dimension nouvelle du chaos de cette expulsion en mode accéléré. Quand on met en place une logistique pour évacuer 1800 personnes en 8 heures et 30 minutes on oublie parfois quelques détails humains. Mais au-delà et sur le fond reste le fait que ce déplacement de mineurs se fait en dehors de tout cadre légal, tout comme l’était leur hébergement dans le camp de containers et comme le sera celui dans les Centres d’Accueil et d’Orientation pour Mineurs Étrangers Isolés où ils ont été conduits.

Mercredi 2 novembre, Paris. Plusieurs centaines de personnes se rassemblent avenue de Flandres pour soutenir les revendications des migrants de Stalingrad. Celles-ci portent sur la garantie des droits suivants : un logement pérenne avec l’ensemble des services correspondant et conformes à leurs droits notamment administratifs, sociaux, médicaux et l’apprentissage du français ; pour celles et ceux qui ont déjà déposé une demande d’asile : la continuité de la procédure d’un lieu à un autre et la non-application de la procédure Dublin ; la prise en charge des droits de tous et toutes sans exception, de logement et des papiers ; de ne pas les expédier dans les prisons de force ; la non-expulsion des migrants en dehors de France. Au début contenu sur le terre-plein central, le rassemblement a rapidement débordé sur la chaussée, bloquant la circulation. Aux cris de “We want Freedom”, “We want shelters”, “No Police”, “No border, no nation, stop deportation”, une manifestation s’est improvisée autour du campement avenue de Flandres.

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Jeudi 3 novembre, Marseille. Un groupe de demandeurs d’asile afghans manifeste devant l’OFII de Marseille pour demander l’accès au logement au CADA (Centre d’hébergement des demandeurs d’asile) auquel ils ont droit en tant que demandeurs d’asile, mais dont ils sont privés depuis plusieurs mois voire plus d’une année pour certains. “Nous demandons l’application de nos droits en tant que demandeurs d’asile en France. Nous n’avons pas de logement (alors que certains d’entre nous sont là depuis au moins un an). L’Etat français doit nous considérer comme n’importe quel autre réfugié et nous donner tout ce à quoi nous avons droit. Le groupe des demandeurs d’asile afghans de Marseille”. Leurs revendications de droit au logement sont soutenues par un collectif de soutien (El Manba) dans la foulée des actions collectives menées récemment en faveur du logement des personnes migrantes mises à la rue à la veille de la trêve hivernale (demandeurs d’asile, mineurs isolés, sans papiers). Le lendemain, une cinquantaine de personnes sont toujours présentes sur place et appellent à ce que l’on viennent les soutenir.

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