Quand être une ville frontière devient une malédiction

Une frontière laisse passer des personnes et des choses, en bloque d’autres, en fonction des décisions de l’État voisin. Ce qui est bloqué par les lois de l’État voisin passe par contrebande, activité indissociable de la frontière. Douaniers et contrebandiers sont les deux visages d’une même situation. Calais doit à la contrebande sa prospérité industrielle d’antan : les métiers à dentelle d’invention britannique étaient interdits à l’exportation, ainsi que les ouvriers qui en maîtrisaient la mécanique, pour garder au Royaume-uni cet avantage technologique; et puis des machines et des ouvriers ont passé clandestinement la Manche, et pendant un siècle et demi Calais en a tiré profit.

Une frontière c’est ça, le contrebandier déjoue la surveillance du douanier, le douanier maintient l’activité du contrebandier dans des limites raisonnables. Et la ville vit avec, en tire parfois profit.

Sauf quand les choses tournent au drame. Le drame d’un État, et pire de deux État voisins, dans un ensemble d’autres États, qui ne maîtrise plus bien les choses dans la crise, et veut montrer qu’au moins il maîtrise sa frontière. Un État, et pire deux États voisins dans un ensemble d’autres États, qui maltraite tant sa population qu’il devient impensable qu’il traite bien les personnes nouvelles venues.

Et les choses deviennent alors hors de proportion. La violence se développe au point de coller à l’image de la ville. Les personnes qui sont bloquées à la frontière sont jetées dans une misère qui colle aussi à l’image de la ville. Le visage de la ville est changé. On mure les maisons vides parce que les personnes bloquées à la frontière pourraient s’y abriter, on rase des bâtiments parce que des personnes bloquées à la frontière y ont trouvé abri (voir ici et ). Des grilles poussent aux alentours et dans la ville, pour empêcher le passage, pour empêcher l’installation, et coupent entre autres le port de la ville, comme au temps de la Seconde Guerre mondiale l’occupant avait créé un no-mans-land entre le port et la ville.

On coupe arbres et buissons comme en temps de guerre pour mieux voir la progression de « l’ennemi ». On inonde des terrains comme en temps de guerre pour empêcher la progression de « l’ennemi ».

La ville frontière est soumise à cet impératif guerrier, ses habitant-e-s sont sommé-e-s d’être « pro » ou « anti ». L’impératif de la frontière traverse sa population et son économie, qui croit alors sur elle comme un chancre.

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Article repris du blog : passeurs d’hospitalités.

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