Infos reprises et traduites à partir des sites : https://noborderserbia.wordpress.com/ et http://moving-europe.org/
Depuis la fin de l’année 2015, le gouvernement hongrois a terminé la construction des barrières le long de la frontière serbo-hongroise et croate-hongroise, et il y a un peu plus de 6 mois, l’entrée par la frontière grecque-macédonienne à Idomeni a été complètement fermée. Les conséquences de la fermeture progressive des routes des Balkans se manifestent dans le renforcement de la violence quotidienne du régime frontalier et de ses zones de contrôle et de coercition.
Voici un témoignage recueilli à Belgrade auprès de deux jeunes garçons, dont l’un d’eux n’a que 16 ans et a été très sérieusement frappé par la police :
« C’était le samedi 5 novembre au soir, entre 10 et 11 heures, près de la frontière hongroise, mais sur le sol serbe, une sorte de lieu abandonné. Nous n’avons jamais essayé de traverser la clôture avant cela, nous étions 36 personnes qui dormaient dans cet endroit, à la fin de la nuit, nous avons vu les lumières et tout le monde a essayé de prendre son sac et de courir. Trois d’entre nous n’ont pas réussi à s’échapper et nous avons été pris par la police. C’était la police hongroise qui a traversé le sol serbe (à environ 200 mètres de la clôture) et ils nous ont battus très fortement avec leur arme spéciale, le soi-disant bâton noir. C’étaient trois policiers, et l’un d’eux amenait un chien. D’une façon ou d’une autre nous avons réussi à trouver la route principale et nous voulions être pris par la police serbe parce que nous saignions beaucoup et nous avions besoin d’aide médicale urgente. La police a appelé l’ambulance et ils nous ont emmenés à l’hôpital. Ils ont brisé ma tête, j’ai maintenant sept points de suture et la main de mon ami est vraiment très blessée. Après que la police serbe ait pris nos photos et nos empreintes digitales, nous avons été emmenés au camp de Subotica. C’est un mauvais endroit, donc nous sommes revenus à Belgrade encore. Nous espérions pouvoir obtenir de l’aide ici, mais personne ne nous en a donné ici. […] »
Malgré cela, des centaines de personnes traversent toujours les Balkans vers l’Europe centrale. Celles-ci arrivent de la Grèce à travers la Macédoine ou de la Turquie à travers la Bulgarie puis passent par la Serbie. Environ 300 personnes arrivaient chaque jour cet été en Serbie. Après quelques jours à Belgrade, la plupart d’entre elles continuent à Subotica, une petite ville proche de la frontière hongroise. Il y a trois camps dans la région. L’un d’entre eux est un géré par l’État dans la banlieue de Subotica, et possède quelques infra-structures, des douches et l’électricité, mais celui-ci est surpeuplé alors des personnes dorment dans des tentes à l’extérieur. L’accès aux soins et le manque d’habits, de couvertures pour se protéger du froid est constant, la nourriture fournie par les autorités semble se limiter à du pain, du thon et quelques boites de sardines… Les deux autres camps sont auto-organisés et sont situés dans la zone de transit, à quelques mètres du sol Hongrois. Les conditions sont très précaires. La fourniture d’articles de base est insuffisante. Il n’y a pas de douches, seulement un robinet d’eau et quelques toilettes. Environ 15 personnes par jour sont autorisées à traverser légalement la Hongrie à l’intérieur de chaque camp de la zone de transit. Les nouveaux arrivants doivent mettre leur nom sur une liste et attendre que leur nom passe au sommet de la liste. Une personne du camp est responsable de la liste et remet celle-ci aux autorités hongroises. Les familles sont priorisées et par conséquent ont une période d’attente plus courte, tandis que les hommes célibataires attendent souvent plus longtemps.
« J’ai essayé six fois de passer, une fois par la Croatie et cinq fois par la Hongrie. La dernière fois, la police m’a pris et leur chien m’a mordu. Il se trouvait à environ 10 km à l’intérieur de la Hongrie. J’ai attendu sur la liste pendant 2 mois, même si j’étais numéro 9 en ligne après avoir fermé la frontière. » (M. du Bangladesh)
Malgré la clôture barbelée le long de la frontière serbo-hongroise, il existe plusieurs possibilités de passer de la Serbie à la Hongrie. Beaucoup de personnes tentent de traverser en Hongrie par leurs propres moyens pendant la nuit pour éviter la longue période d’attente et d‘incertitude dans la zone de transit et beaucoup arrivent à traverser et poursuivent leur voyage. Cependant, la police hongroise, l’armée et les unités de défense civiles fascistes contrôlent étroitement la frontière hongroise. Ils repoussent systématiquement les réfugiés de la Hongrie vers la Serbie, une loi permet aux gardes de repousser sur une zone de 8 kilomètres toutes les personnes entrées de manière illégale. Ce procédé est connu sous le nom de « push-back » et a considérablement augmenté ces derniers mois, conduisant à un plus grand nombre de personnes bloquées en Serbie. Beaucoup de personnes signalent des violences des autorités hongroises pendant les « push-back ». Un témoignage recueilli cet été atteste de cette réalité quotidienne :
« Je suis allé en Hongrie trois fois. La première fois après une marche de cinq minutes, la police est venue avec des chiens et m’a battu et puis nous avons été ramenés à la frontière et ils m’ont renvoyé. La deuxième fois, j’ai marché pendant une demi-heure et ils sont venus me battre et ils m’ont renvoyé. La troisième fois, j’ai marché dix kilomètres en trois heures et encore une fois ils m’ont battu et m’ont renvoyé. La police hongroise est donc un gros problème pour les réfugiés parce qu’ils les battent. J’ai marché dix kilomètres en Hongrie et la police est venue me frapper. Ils ont coupé quelques fils dans la barrière barbelée et nous ont poussés à travers. Nous étions douze personnes et la police a battu les douze personnes. On avait une blessure sur la tête avec du sang. Ils avaient un hélicoptère. Et ils ont également utilisé des électrochocs. Et ils avaient aussi du poivre-spray. C’est très dangereux. Si les réfugiés retournent en Serbie, ils ne voient rien. Ils y vont et tombent dans la clôture avec des rasoirs afin qu’ils aient beaucoup de coupures. »
La violence est omniprésente sur les routes de migration et dans les zones frontalières de la Serbie, de la Hongrie et de la Croatie. En outre, elle se manifeste non seulement par des attaques physiques liée aux agressions policières et aux push-back, mais est également exercée psychologiquement aussi bien qu’institutionnellement.
Ainsi, l’immigration clandestine est répréhensible pénalement en Hongrie1, et les déportations sont très fréquentes dans chaque pays. Le gouvernement Serbe maintient les migrants dans des conditions déplorables. Les camps sont remplis, insalubres et situés dans endroits fortement isolés. A Belgrade, plus de mille migrants dorment dans les rues, et 6000 sont à ce jours coincés dans le pays.
Les nuits sont de plus en plus froides et les conditions météorologiques sont souvent pluvieuses et difficiles à supporter, de sorte que les maladies chez les migrants augmentent. Les températures continuent de baisser et cela continuera d’empirer pendant les prochains mois d’hiver. Des groupes de solidarité ou organisations humanitaires tentent de fournir un minimum d’aide mais il n’y a aucune solution pour lutter contre le froid et trouver des abris pendant la nuit pour chacun. Des solutions auto-organisées comme dormir dans des entrepôts abandonnés sont parfois tolérées (surtout dans les bâtiments qui vont bientôt être démolis), mais sont souvent interdites et rendues impossibles par les autorités serbes. Plusieurs bâtiments occupés, qui ont fourni un minimum d’abri digne et d’espace de couchage, ont été expulsés par la police au cours des derniers mois. Les gens sont harcelés par la police pendant la nuit dans les différents endroits ou ils se réfugient pour dormir (squats, parcs, parkings, etc). Souvent, des dizaines de personnes sont conduites au poste de police, et beaucoup finissent en prison avec des amendes douteuses exigeant jusqu’à 280 €. Ceux qui n’ont pas la capacité de payer restent en prison pour une durée indéterminée…
La propagande haineuse contre les migrants est un autre aspect de cette violence psychologique. Des manifestations du voisinage xénophobe et raciste ont déjà eu lieu dans le parc de Belgrade près de la gare et ceux-ci harcèlent les migrants, les militants et toute personne étant d’un autre avis que le leur sur la question de la « crise des migrants ». Le nombre de ces manifestations reste faible, mais leur recours à la violence verbale et physique augmente.
Ainsi, l’arbitraire des mesures juridiques, l’incertitude liée au passage par le système des listes d’attente, les décisions politiques en constante évolution et les contrôles incessants de la police créent un climat d’insécurité, de frustration et de peur. Tous ces facteurs conduisent à des blessures physiologiques qui nuisent gravement à la santé mentale des personnes qui souhaiteraient pourtant passer à autre chose, et sortir d’une situation déjà très difficile pour eux.
La situation actuelle n’est pourtant pas nouvelle, car les murs et les clôtures du régime frontalier européen ont toujours été marqués par l’oppression et la violence. Néanmoins, la récente vague de violence de l’automne 2016 se remarque dans la mesure où la zone avait connu une période d’accalmie en 2015, permettant à des milliers de migrants d’atteindre rapidement et de manière relativement sûre leurs destinations. Cependant, les formes de violence décrites ci-dessus ne doivent pas être perçues comme une donnée immuable, un fait « naturel ». La migration et le désespoir ne sont pas inextricablement liés et d’autres manières d’envisager la migration et l’asile restent possible. Seule la fermeture des frontières et la politique de répression et de dissuasion doivent être tenues pour responsables de la violence. Et seule une politique inconditionnelle de liberté de circulation et d’accueil entraînera la fin de la violence, que ce soit dans ses modes apparents ou plus subtils.
Malgré les conditions se détériorant et un manque criant de perspectives2, les architectes du régime frontalier européen ne peuvent pas arrêter complètement les mouvements des migrants. D’une part, les frontières continuent à être traversées par ceux qui ne sont pas autorisés à le faire, et d’autre part protester contre ces conditions fait reculer le désespoir généralisé et crée des solidarités. Le 4 octobre 2016, un groupe de 400 à 500 migrants ont entamé une marche auto-organisée vers la frontière hongroise depuis Belgrade. Ils ont ainsi marqué un fort signe contre la fermeture des frontières, la politique de non-accueil et la répression en Serbie. En raison de l’épuisement et de la pression implacable exercée par la police serbe, les manifestants ont finalement décidé de retourner à Belgrade après avoir parcouru des dizaines de kilomètres. Mais les reportages médiatiques et la sensibilisation du public considérant généralement les migrants comme des personnes à assister, incapables d’agir par elles-mêmes et vouées à subir une souffrance « normalisée », aura peut être un peu changé… Cette action collective aura en tout cas permis de montrer les capacités de protestation et d’auto-organisation des migrants, et de réaffirmer une fois de plus leur volonté de liberté.
1 La loi prévoit depuis septembre 2015 jusqu’à trois ans de prison pour tout franchissement de la clôture barbelée érigée par Budapest sur les 175 km de sa frontière avec la Serbie. Cette peine peut être portée à cinq ans en cas de dégâts matériels sur l’installation, comme cisailler des fils barbelés.
2 Le 5 novembre 2016, une « lettre ouverte » du gouvernement serbe aux organisations humanitaires a été publiée, affirmant que tous les réfugiés devraient se rendre dans des camps officiels en mettant ainsi fin à toute aide et solidarité en dehors de ces camps. Il reste à voir quelles conséquences suivront, mais il est évident que la situation des migrants ne s’améliorera pas en Serbie ni ne renforcera leur autonomie.