Nous reprenons et traduisons des informations parues sur les sites Comitato Lavoratori delle Campagne et Campagne in Lotta.
Le campement de San Ferdinando, situé à proximité de Rosarno dans le sud de l’Italie, a été démantelé mercredi 6 mars dernier. Il abritait environ 1300 hommes et 200 femmes vivant dans cette région connue pour ses besoins en main d’œuvre agricole et pour sa surexploitation des travailleurs immigrés. Ce n’est pourtant pas la première fois que les bulldozers sont amenés sur les lieux pour raser le camp, d’autres opérations d’expulsion et de démolition furent déjà effectuées au cours des dernières années. Un démantèlement du bidonville début 2013 avait suivi la construction de la toute première ville de tentes érigée à l’hiver 2012 dans la zone industrielle de San Ferdinando, à quelques dizaines de mètres des bâtiments actuels. Une évacuation partielle avait également été réalisée au cours de l’été 2017. Cette fois, se sont plus de 1000 agents de police qui sont intervenus dans le cadre de la campagne électorale sans fin contre l’immigration du ministre italien de l’Intérieur Salvini qui l’a présentée comme un « acte d’humanité et de légalité »… Mais si les opposants politiques du chef de la Lega l’accusent aujourd’hui d’inhumanité, ceux-ci semblent avoir la mémoire courte, puisqu’ils ont eux même fait la même chose les années précédentes. « Après cette journée de propagande croisée, rien ne changera, même les pierres le savent. », peut-on lire dans un communiqué paru le jour du démantèlement.
Certaines personnes délogées ont ainsi fait la queue jusqu’au bout de la nuit pour pouvoir entrer dans les nouveaux camps de tentes sécurisés et gérés par l’État. Mais ceux-ci débordent déjà, du fait du récent décret Salvini chassant en masse de nombreuses personnes des centres d’hébergement. D’autres, en l’absence de solutions de rechange, se sont rendormis dans des abris ayant provisoirement échappé à la destruction. Il y a beaucoup de personnes dans la rue qui n’ont pas d’endroit où aller, alors que depuis l’expulsion, à la gare de Rosarno, la police conduit des personnes dans des trains pour les faire partir. Parmi les rares personnes placées dans les bus desservant les centres de réception – 200 personnes selon le préfet – beaucoup ont fait demi-tour. En fait, beaucoup ne peuvent pas quitter la zone parce qu’elles attendent d’être payées par leurs employeurs ou parce qu’elles travaillent toujours. Il y a aussi celles qui se déplacent vers d’autres villages de la plaine de Gioia Tauro et qui devront alimenter les besoins en main d’œuvre quelque part ailleurs. Il est clair que cet « acte d’humanité et de légalité » ne fait que déplacer un peu plus loin l’implantation de nouveaux ghettos pour des intérêts d’ordre strictement politique, mais cette éviction permet également à l’État de maintenir la situation sous son contrôle en créant les conditions de précarité dans lesquelles la surexploitation des travailleurs saisonniers sera acceptée. Le besoin de main-d’œuvre est en effet urgent dans les campagnes italiennes : le réchauffement climatique anticipe la saison des récoltes, il n’y a pas de temps à perdre et les bras manquent.
Depuis le mois décembre 2018 pourtant, cinq bâtiments ont été construits avec des fonds de l’Union européenne précisément pour faire face à l’urgence du logement des migrants dans la plaine de Gioia Tauro, mais ils n’ont toujours pas été utilisés et semblent maintenus dans des limbes bureaucratiques. Suite à la montée du discours raciste et xénophobe dans le pays, le maire de Rosarno et ses collaborateurs demandent à ce que les maisons soient « aussi » (comprendre « avant tout ») réservées au pauvre Rosarnese. Pendant ce temps, les bâtiments restent vides et ceux qui vivaient à San Ferdinando doivent se contenter d’une tente sécurisée, d’un nouveau ghetto ou de la rue. Personne ne croit à la fable du relogement en centres d’accueil, nombreuses sont d’ailleurs les personnes qui les fuient. Les résidents du camp dénoncent alors le consensus général sur l’expulsion, émanant tant des autorités locales que nationales, mais également de nombreuses associations et syndicats, qui prennent des décisions et agissent au nom des concernés sans leur consentement. Avant l’expulsion, des habitants ont fait entendre une nouvelle fois leur voix, sans médiation, et ont communiqué la déclaration suivante :
« À la satisfaction de beaucoup, les annonces du gouvernement sont devenues réalité. Mercredi 6 mars, nous, habitants de la vieille ville de tentes de San Ferdinando, serons évacués, par ordre de la municipalité, du lieu où nous vivons, que nous avons construit au fil des ans avec beaucoup d’efforts et beaucoup d’argent, sans autre alternative à vivre. Nous voulons que tout le monde sache que nous n’accepterons pas de rester dans d’autres tentes, contrôlées nuit et jour, ni même dans des centres d’accueil (camps), loin de notre lieu de travail et toujours surveillés. Et nous ne voulons pas finir sur la route si nous n’avons pas de papiers. Nous voulons vivre libre et vivre dans des maisons, que nous ayons ou non des papiers. Notre présence dans cette région ne correspond pas à une situation d’urgence, mais contribue depuis des années à l’économie de ce pays. Mais vous, si vous deviez chercher un emploi dans un endroit différent, accepteriez-vous de vivre dans une tente ou dans un camp? À Rosarno, il existe déjà de nombreuses maisons, certaines construites avec des fonds européens et destinées aux immigrés vivant et travaillant dans la plaine de Gioia Tauro, mais elles restent inhabitées car les institutions ne veulent pas les mettre à disposition. ASSEZ! Nous sommes fatigués des mensonges et des fausses promesses d’associations et de syndicats (CGIL et USB), qui prétendent soutenir nos demandes mais continuent de servir leurs intérêts. Ce sont les mêmes personnes qui, tandis que dans d’autres endroits luttent contre le gouvernement raciste, soutiennent ici l’expulsion et proposent les camps comme solution. Nous savons que la solution à nos problèmes est de disposer des papiers nécessaires pour pouvoir mener une vie normale : maison, contrat de travail et liberté de circulation. Des choses pour lesquelles nous nous battons depuis longtemps. MAINTENANT, LE TEMPS EST VENU DE DIRE ASSEZ ! Nous ne serons pas intimidés par ceux qui nous menacent et qui veulent que nous soyons calmes et pacifiques afin d’aider la police à mener à bien l’expulsion. Nous n’accepterons pas de compromis s’ils ne nous donnent pas un foyer pour vivre. Nous demandons à toutes les personnes solidaires, celles qui se déclarent antiracistes et antifascistes, celles qui luttent contre la répression et l’exploitation, de ne pas garder le silence avant ce dernier acte de violence ! Nous invitons toutes les personnes à nous rejoindre dans les prochains jours et à nous aider à faire entendre notre voix autant que possible, pour raconter ce qui se passe réellement ici ! L’État veut nous diviser mais nous resterons unis ! La solidarité est l’arme la plus puissante du monde ! »
Quelques jours après le démantèlement, cinq photos et divers écrits sont apparus sur les maisons toujours vides destinées aux travailleurs immigrés. Ce sont les visages des dernières personnes tuées par le racisme et l’exploitation dans la ville de tentes de San Ferdinando. Sekine Traoré, tué par un carabinier en 2016 ; Soumaila Sacko, tué en 2018 ; Becky Moses, Suruwa Jaiteh et Moussa Ba décédés des suites d’incendies au cours de l’année écoulée. Mais la liste des morts serait encore longue. Ce sont toutes des personnes qui auraient pu vivre dans une maison comme celles laissées vides, mais les choix politiques racistes, l’exploitation et la ségrégation les ont forcés à vivre et à mourir dans la précarité. Et bien que ses responsabilités dans tout cela soient évidentes, le maire de Rosarno tente de se cacher derrière des illusions de complot visant à mettre les Italiens et les migrants face à face. L’expulsion du bidonville n’a fait qu’aggraver la situation, laissant encore plus de personnes sans toit.