Informations reprises et traduites à partir du site Harek(et)act.
L’université d’Amsterdam a publié un rapport de recherche sur les migrants et réfugiés réadmis de Grèce en Turquie. Alors que de nombreux documents ont été diffusés sur la situation en Grèce depuis la signature du fameux accord UE-Turquie, on ne sait que peu de choses sur les conditions des personnes réadmises en Turquie.
Le rapport est basé sur des études de terrain et de bureau réalisées entre décembre 2016 et mars 2017 et identifie plusieurs questions relatives aux droits de l’homme en Turquie pour les personnes réadmises depuis la Grèce. Il montre notamment l’écart entre la législation turque (prévoyant un double système de protection avec la protection temporaire pour les Syriens et la protection internationale pour d’autres nationalités) et la situation dans la pratique, telle qu’identifiée par des avocats et des praticiens d’ONG travaillant avec des migrants et des réfugiés réadmis en Turquie. Voici ci-dessous un résumé des principales conclusions du rapport.
Situation des migrants réadmis non syriens
Détention : Les ressortissants non syriens réadmis ont été transférés au centre de retrait de Pehlivanköy de la ville de Kırıkkale jusqu’en mai 2017, puis à partir de cette date au centre de Kayseri. Dans ces centres, les personnes sont gardées dans des cellules et ne sont pas autorisées à communiquer avec leurs familles et avocats. L’accès aux représentants du HCR (haut commissariat aux réfugiés) a souvent été refusé. Ils sont enfermés dans leurs cellules avec des temps de sorties en plein air très faibles : un total de 20 à 30 minutes par jour. En outre, les mineurs non accompagnés sont logés avec des adultes ou des familles dans ces cellules. Bien qu’il existe des installations telles qu’une salle internet, une bibliothèque, un salon de coiffure et une salle de sport, les détenus ne sont pas autorisés à utiliser ces installations. Les personnes sont gardées dans ces centres de retrait pendant un à deux mois, parfois plus, jusqu’à ce qu’ils soient expulsés vers les pays tiers ou leur pays d’origine.
Accès à l’asile : Les migrants et réfugiés réadmis ne sont pas informés de leur situation et de leurs droits et se voient souvent refuser l’accès aux représentants du HCR et aux ONG ainsi qu’à leurs avocats qui pourraient les informer de leurs droits. De plus, le personnel des centres de retrait fournit régulièrement des informations erronées aux détenus ; leur conseillant de ne pas solliciter une protection internationale car cela augmenterait leur séjour dans le centre ou qu’ils ne seraient pas autorisés à demander une protection internationale en Turquie parce qu’ils auraient été réadmis depuis la Grèce. Les personnes sont obligées de signer des documents dont ils ne connaissent pas le contenu et qui sont rédigés dans une langue différente de la leur.
Le rapport a révélé que la demande d’asile ou de protection internationale au sein de ces centres de retrait est pratiquement impossible. Les migrants ne sont pas autorisés à avoir un stylo ou du papier, leurs demandes verbales de déposer une demande de protection internationale sont ignorées par les fonctionnaires et les avocats ne sont pas autorisés à voir leurs clients ou leurs dossiers. Le dernier rapport de la Commission européenne indique que 1 798 migrants non syriens ont été réadmis entre avril 2016 et juin 2017 et que seulement 56 d’entre eux ont pu demander une protection internationale en Turquie. Selon un avocat turc, demander une protection internationale à partir d’un centre d’évacuation est « une pure question de chance ». La seule possibilité pour les migrants et réfugiés réadmis de demander une protection internationale est l’intervention d’un tiers : un avocat ou une ONG. Mais même dans ce cas, ceux-ci ne réussissent pas forcement à déposer les demandes de leurs clients en raison de nombreux obstacles arbitraires, notamment le refus de la part des fonctionnaires d’examiner celles-ci.
Situation des réfugiés syriens
Entre avril 2016 et juin 2017, 178 ressortissants syriens ont été réadmis de Grèce en Turquie dans le cadre de la déclaration UE-Turquie. Les Syriens réintégrés ont été transférés au camp d’hébergement temporaire de Düziçi dans la ville d’Osmaniye et au camp d’Islahiye 2 dans la ville de Gaziantep, en attendant la décision de l’administration sur leur statut de protection.
Selon plusieurs rapports indépendants et des avocats interrogés lors des recherches sur le terrain, le camp de Düziçi est en pratique un centre de détention. Les ressortissants syriens dans ce camp ne sont pas autorisés à le quitter, sont gardés dans des cellules fermées à clé et ont des possibilités de communication et un accès au monde extérieur très limités.
Selon les recherches, ce camp est en fait un centre de détention, sans aucune base légale conforme à la législation turque. Les Syriens réintégrés restent dans ce camp environ trois à quatre semaines.
Enfin, en ce qui concerne les conditions de vie générales des réfugiés syriens réadmis en Turquie, l’étude montre qu’environ 10% des réfugiés syriens vivent dans des camps d’hébergement temporaire, alors que la grande majorité vit dans des zones urbaines du pays. L’accès au marché du travail serait également limité dans la pratique, en dépit de la législation turque autorisant les bénéficiaires d’une protection temporaire à demander un permis de travail après six mois d’enregistrement. Près de 400 000 personnes travailleraient ainsi de manière clandestine.
Le 22 septembre 2017, le Conseil d’État grec, la plus haute juridiction administrative du pays, a rendu deux arrêts concernant des ressortissants syriens dont les demandes ont été rejetées. Les décisions auront des conséquences importantes sur tous les éléments principaux de la procédure d’asile grecque et la Turquie sera considérée comme un pays tiers sûr. Ces décisions ont notamment confirmé la légalité de la procédure accélérée dans les îles permettant d’examiner la recevabilité des demandes de protection sur la forme et de renvoyer les demandeurs dans un pays de provenance si celui-ci considéré comme sûr. Dans le même temps, le Conseil d’État a démenti le droit des requérants à être entendus dans les procédures de recours (plus d’infos ici).