Chronique d’une lutte permanente (oct. 2021)

(Article paru initialement dans l’Épisode Cévenol n°23).

La haine et la violence dirigées contre les exilés ne s’expriment pas que sur les plateaux télés. L’actuelle banalisation des discours xénophobes, si elle prolifère aussi aisément que dangereusement en cette période pré-électorale, s’inscrit dans un contexte de rejet migratoire déjà largement ancré en Europe. Les théoriciens du mythe de la « peur de l’étranger » ou du « grand remplacement » bénéficient à la fois d’un terrain propice pour répandre leurs idées, mais également, apportent une caution idéologique au durcissement des politiques migratoires mené depuis des années. Ainsi, la pratique alimente le discours, et le discours légitime la pratique. La boucle est quasiment bouclée, et il ne reste plus aux gouvernants que de pointer du doigt, quand ce n’est réprimer, les initiatives de soutien et de luttes solidaires, celles pourtant les plus directement à même de contrer cette logique infernale.

30 septembre 2021, Riace. La justice italienne condamne Domenico Lucano, ancien maire de la petite ville de Riace, à une peine de treize ans et deux mois de prison, assortie d’une amende de 750 000 euros. C’est une peine démesurée qui est infligée à celui qui depuis des années organisait dans son village l’accueil de dizaines d’exilés débarqués sur les côtes de Calabre. Alors que la politique d’accueil unique et exemplaire menée à Riace avait fait du village et de son maire les symboles d’un projet de société alternative fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes. L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes. Cette condamnation est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste.

7 octobre, Montpellier. Huit jeunes Africains sans-papiers sont arrêtés sur le quai de la gare quelques heures avant le début du contre-sommet Afrique-France organisé par un collectif d’organisations locales et nationales. La préfecture de police et le Ministère de l’intérieur ont été prévenus bien en amont de cet événement et n’ont interdit ni les réunions, ni les manifestations au programme. Pourtant le matin du 1er jour de ce contre-sommet, la préfecture a envoyé des policiers procéder à des arrestations ciblées et discriminatoires sur le quai de la gare. Seul ce groupe de Maliens, de Sénégalais et d’Ivoiriens, qui avait pris le train au sein d’une délégation de 24 membres de différents collectifs de la région parisienne, a été arrêté et emmené en garde à vue. Ils ont été contrôlés au faciès parce qu’ils étaient Africains, venus contester en groupe et de manière organisée, et jeter la lumière sur la face cachée du « Nouveau Sommet Afrique-France » et la politique du gouvernement. Deux d’entre eux ont été transférés en centre de rétention avant d’être enfin libérés 5 jours plus tard grâce entre autres à une riposte et une mobilisation rapides qui ont commencé le jour-même devant le commissariat de Montpellier. Cinq autres sont sortis des locaux de la police avec OQTF (Obligation de quitter le territoire français) assortie d’une IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français) plusieurs heures après leur arrestation. Ces derniers sont convoqués au Tribunal Administratif de Montpellier le jeudi 18 novembre 2021 où leurs recours doivent être examinés.

11 octobre, Calais. Face aux conditions de vie indignes des personnes exilées à Calais, trois militants, Anaïs Vogel, Ludovic Holbein, et le père Philippe Demeestère, âgé de 72 ans, entament une grève de la faim à l’église Saint-Pierre pour réclamer l’arrêt de la maltraitance des personnes exilées dans le Calaisis. Comme les autres personnes engagées dans diverses associations intervenant à Calais, ils dénoncent les traitements inhumains perpétrés à l’encontre des exilés dans la région. Leurs revendications sont pourtant loin d’être extravagantes : Suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements durant la trêve hivernale, arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées, ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État, portant sur l’ouverture et la localisation de points de distribution de tous les biens nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées. Anaïs Vogel déclare aux médias : « On ne sait pas jusqu’où on va devoir aller. On nous a dit que c’était fou de devoir faire une grève de la faim pour demander que des gens ne se fassent pas détruire leurs affaires ». Le 2 novembre, après plus de trois semaines de grève de la faim, les revendications ne sont toujours pas entendues. Didier Leschi, Directeur de l’Ofii (Office Français de l’immigration et de l’intégration) et chargé de la médiation entre le gouvernement et les grévistes, concède deux maigres alternatives : que cessent les évacuations par surprise, que les personnes soient prévenues avant la destruction de leur camp et qu’elles disposent de 45 minutes pour ramasser leurs effets personnels, et propose un hébergement pour les délogés, mais seulement en dehors de Calais… Les propositions sont refusées, la grève se poursuit.

24 octobre, Briançon. L’association Refuges Solidaires décide d’arrêter momentanément et symboliquement son activité en raison du nombre important de personnes qui menacent la sécurité et l’accueil digne des exilés. Alors que le lieu est initialement prévu pour accueillir 80 personnes, plus de 200 s’y trouvaient la veille. Les arrivées depuis la frontière sont en augmentation depuis le printemps et la prise en charge est assurée depuis 5 ans uniquement par les bénévoles, alors qu’il s’agit d’une obligation de l’État. Les militants exigent des autorités la mise en place de solutions d’hébergements complémentaires dans les plus brefs délais afin que le refuge puisse de nouveau accueillir les exilés dans de bonnes conditions. Pour appuyer ces revendications, les exilés, accompagnés de quelques bénévoles, se rendent alors à la gare pour y passer la nuit et dans le but de partir dès le lendemain. La mairie condamne cette action et demande des renforts au Ministère de l’Intérieur. Deux escadrons de CRS rejoignent dès le 25 octobre la ville de Briançon. Par peur d’une potentielle intervention des forces de l’ordre qui auraient menacé le droit des exilés, et à la demande des associations, un accueil provisoire est trouvé à l’église Sainte-Catherine. Toujours en attente de solutions pérennes et sans nouvelles des pouvoirs publics, samedi 31 octobre, une tentative de mise à l’abri d’urgence dans l’ancien centre de vaccination du Prorel échoue au vue du dispositif policier en place. Les bénévoles se mobilisant pour un accueil digne et inconditionnel obtiennent pour toute réponse un tweet du maire de Briançon, Arnaud Murgia : « Cette stratégie du harcèlement des pouvoirs publics ne trouvera qu’une seule réponse : la fermeté. » Entre temps des dizaines d’exilés ne savent pas où se mettre à l’abri.

[Cévennes Sans Frontières]

Pour plus d’infos, voir notamment :

– « Domenico Lucano : quand accueillir dignement devient un délit » – https://www.gisti.org/, 15 octobre 2021

– « Sommet Afrique-France : Liberté pour les 7 de Montpellier ! Appel à manifester les vendredi 15 et 22 octobre à Paris » – https://survie.org/, 15 octobre 2021

– « 150 associations soutiennent les revendications des grévistes de la faim à Calais », https://www.lacimade.org/, 26 octobre 2021

– « Communiqué de presse », https://www.facebook.com/tousmigrants/, 2 novembre 2021

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