Le début de l’année 2019 a vu la lutte contre l’immigration franchir un cap d’hostilité et l’étau enserrant les demandeurs d’asile entre le déni de droits et la clandestinité ne laisse à ceux-ci que de maigres perspectives d’entrevoir un avenir plus clément. Alliant tour à tour répression policière et verrouillage législatif, le gouvernement persiste dans une politique irresponsable où la vie d’hommes et de femmes n’a que peu de valeur à ses yeux. Les services de l’État se défaussent toujours plus éhontément de leurs prérogatives en faisant reposer le poids de leurs propres carences sur le dos des solidaires, sans qui la situation serait clairement catastrophique et plus difficilement acceptable. Pourtant, dans ce qui peut relever à première vue d’une attitude schizophrénique déconcertante où le travail des bénévoles permet de perpétrer cette politique supplétive tout en étant pour le moins dénigré – quand ce n’est criminalisé, nous voyons là une volonté de faire taire toute contestation par l’épuisement ou la répression.
Du verrouillage administratif au harcèlement policier dans les rues
Les conditions d’accueil des exilés, si précaires qu’elles pouvaient déjà l’être auparavant, se sont récemment encore détériorées. Le mécanisme d’inaccessibilité au droit d’asile déjà largement entamé par le règlement européen dit de Dublin s’est vu perfectionné par l’entrée en vigueur de la loi Asile Immigration conjuguée à l’application des procédures de régionalisation au niveau national. Du refus des conditions matérielles d’accueil à l’obligation d’être domicilié dans une ville où l’hébergement institutionnel est saturé, s’est créé une situation d’urgence où des milliers de personnes affrontent d’extrêmes difficultés, notamment pour se loger. Les témoignages des solidaires parisiens en attestent, les campements de rue dans la capitale n’ont rarement été aussi bondés.
Et comme si plonger les demandeurs d’asile dans un dédale administratif sans fin ne suffisait pas à les décourager, c’est par le harcèlement policier que le processus d’écartement et de rejet est complété. Les contrôles sont désormais légalisés dans une zone de 10 kilomètres aux abords des frontières et permettent les arrestations jusqu’en gare de Briançon. A Calais, se sont plus de 230 destructions de campements qui ont été dénombrées depuis le début de l’année, les militants présents sur place dénoncent la répression et les violences policières comme facteur faisant prendre des risques souvent mortels lors des tentatives de traversées de la frontière. A Marseille, comme dans bien d’autres villes, les lieux publics où les exilés posent en ultime recours quelques matelas à même le sol subissent un délogement quasi quotidien, les reléguant ainsi dans les périphéries urbaines là où personne n’ira les voir. La situation connue dans la « jungle » en 2016 semble se déporter partout sur le territoire…
De l’instrumentalisation des solidaires aux luttes auto-organisées
A Paris, début avril, près d’une vingtaine d’associations et de collectifs solidaires se mettent en grève symboliquement afin de rappeler à l’État ses responsabilités. Ils ne distribueront pas de repas et ne se rendront pas dans les camps pour aider les milliers de personnes qui vivent dans les rues de la ville. Ils refusent pour un jour de suppléer l’État dans l’aide aux réfugiés et demandent des actions immédiates. Dans un témoignage, un militant de l’une de ses organisations relate le décès dans l’indifférence d’une femme âgée quelque jours plus tôt Porte de la Chapelle et souligne l’amertume et les questionnements largement ressentis. Recours après recours, nuitée après nuitée… la somme de travail considérable répétée inlassablement s’accroît aussi vite que l’État promulgue ses lois. L’engagement est sans fin, et l’épuisement arrive immanquablement.
Tout en se reposant sur lui, l’État se joue bien du travail des solidaires, et il faut courir vite pour ne pas se laisser récupérer. Combien de personnes se sont vues refuser l’hébergement auquel elles avaient droit au prétexte qu’elles étaient déjà « logées » chez l’habitant ? Combien d’autres ont été orientées par les institutions vers les squats solidaires alors que des centaines de logements publics demeurent inoccupés ? Et si le soutien fourni devient trop revendicatif où trop gênant, il ne sera pas compliqué pour l’État d’envoyer ses meutes policières pour vider les lieux et de trouver des prétextes pour faire taire la contestation. La fanfaronnade en juillet dernier autour de la consécration par le Conseil constitutionnel du principe de « fraternité » montre bien aujourd’hui son ineptie. En canalisant l’action des solidaires sur les tâches humanitaires qu’il se refuse à assumer, et en se laissant une marge de manœuvre suffisante pour les réprimer si celles-ci débordent du cadre imposé, l’État s’assure une délégation de service public sans débourser un euro…
La question qui nous importe n’est donc pas de savoir s’il faudrait cesser nos actions solidaires car celles-ci empiéteraient sur le travail de l’État, mais bien de ne pas les laisser devenir un des piliers de cette politique de la misère sur lequel l’État se repose. En cela, le risque est bien présent de se voir submerger par l’ampleur de la tâche et de participer peu à peu à l’invisibilisation de la question tout en en délaissant les actions fondamentales de revendication. Dans une perspective d’opposition aux politiques anti-migratoires, l’idée à retenir n’est pas de vouloir résoudre le problème, mais bien de le combattre, et pour cela, l’auto-organisation des luttes et des pratiques solidaires ont toute leur place.