Après avoir exécuté une peine d’emprisonnement de cinq années pour des faits commis quand il avait 19 ans, Youssef est directement conduit au centre de rétention administrative pour être expulsé. Il y reste 45 jours ; à ce moment-là, c’est la durée maximale autorisée par la loi. A son 45ème jour, alors qu’il pense qu’il va enfin retrouver sa liberté, Youssef est placé en garde à vue puis présenté au juge pénal. L’administration lui reproche d’avoir refusé de voir le consulat tunisien et, en cela, d’avoir tenté de se soustraire à sa mesure d’expulsion. Il est condamné à un mois de prison. A sa sortie du centre pénitentiaire, Youssef est reconduit au CRA où il est, de nouveau, voué à passer 45 jours.
Youssef nous raconte les violences policières, l’acharnement de l’administration, les défaillances de l’unité médicale, le non-sens de son enfermement. Article publié le 5 février 2019 sur le site de la Cimade.
Témoignage de Youssef, jeune homme tunisien enfermé près de deux fois 45 jours au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot.
« Mon histoire elle est longue, je ne sais pas par où commencer…
Je suis entré en prison en mars 2014, j’ai attendu, je pensais que j’allais sortir, mais après il y a eu le jugement et j’ai été condamné à cinq ans. Je n’avais personne pour m’aider, personne pour me soutenir, je ne pouvais pas payer un avocat.
La première année c’était dur, je n’avais pas de visites, je n’avais pas de parloir, personne ne pouvait m’aider.
J’ai fait ma peine jusqu’en septembre 2018, j’ai regardé deux Coupes du monde en prison.
J’ai travaillé, j’ai payé les parties civiles, j’ai fait les choses bien, j’ai fait tout ce qu’il fallait, les fiches de paye, les papiers, l’attestation de travail, l’attestation de la psy. J’ai fait des efforts en prison, j’ai jamais eu le moindre problème avec qui que ce soit, ni avec les détenus, ni avec personne, j’ai fait cinq ans tranquille.
Le jour où je devais sortir, ils m’ont ramené ici au CRA, et depuis ça ne s’arrête jamais.
Les policiers sont venus me chercher et ils m’ont fait monter dans la voiture et ils m’ont ramené au centre de rétention. Je suis resté 45 jours.
Ils m’ont donné deux rendez-vous au consulat. Le premier rendez-vous c’était un faux rendez-vous parce qu’il était prévu un mardi, et nous (les Tunisiens) on n’avait pas de consulat le mardi, c’était toujours le vendredi. La deuxième fois, j’avais un rendez-vous à l’hôpital, on m’a dit que je pouvais aller à l’hôpital qu’il n’y aurait pas de soucis parce que j’aurais la preuve que j’étais à l’hôpital. Je voulais aller à l’hôpital faire une radio voir si ma main était guérie ou pas. Et justement, quand je suis passé devant la juge il y avait la feuille de l’hôpital, la juge a reconnu qu’effectivement, la feuille montrait que j’étais à l’hôpital le jour du consulat mais l’heure n’était pas écrite. La juge m’a mis un mois de prison et deux ans d’interdiction du territoire parce que j’ai refusé le consulat[1] alors que j’étais à l’hôpital.
Avant d’aller voir la juge, quand j’étais au commissariat, j’ai demandé à voir un avocat. Les policiers m’ont menacé, ils m’ont dit qu’il ne fallait pas demander un avocat, ils m’ont dit que si je demandais un avocat il allait mettre des heures à venir, que j’allais dormir ici, que je n’allais pas voir la juge tout de suite, que j’allais aller en prison. J’ai insisté 5-6 fois et après j’ai laissé tomber.
Je suis allé en prison, c’était le mois le plus long de ma vie.
Les policiers n’arrêtaient pas de parler du CRA, ils ne me traitaient pas comme les autres. Je suis allé voir le chef au moins trois fois, il m’a dit qu’il ne pouvait rien faire pour moi.
Je devais sortir le 25 novembre, ils sont venus me chercher le 24 novembre, un jour avant. Ils sont venus à neuf surveillants avec leur chef, ils ont ouvert la porte et ils m’ont dit que je devais partir tout de suite. Ils sont rentrés, ils ont essayé de me menotter, j’avais peur. Les surveillants m’ont ramené à la fouille et ils m’ont maltraité, ils m’ont frappé. Après ils m’ont ramené dans le camion menotté jusqu’au centre de rétention. Quand je suis arrivé au CRA j’avais des blessures partout, j’avais des blessures au visage, j’avais des traces de menottes sur les mains. A l’infirmerie, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire. Les infirmières elles m’ont dit « c’est des petites blessures ça c’est rien ».
Aujourd’hui ça fait 24-25 jours que je suis revenu en rétention. Ça fait cinq ans que je n’ai pas eu une seule minute de liberté.
Il y a quelques jours un ami à moi est venu me voir en visite et il s’est trompé il a été au CRA n°2, parce que la première fois, avant la prison, j’étais là-bas et cette fois ils m’ont mis au CRA n°3. Et du coup, au CRA n°2, les policiers lui ont dit que j’étais libéré en fait. C’est vrai que je devais être libéré la première fois quand j’ai fait les 45 jours mais ils m’ont ramené en garde à vue, après ils m’ont ramené en prison et après ils m’ont ramené au CRA 3. Quand ils lui ont dit que j’étais libéré, il croyait vraiment que j’étais libéré. Il m’a appelé, il a rien compris, il m’a dit « Ecoute t’es libéré là, j’ai parlé avec les policiers ». J’avais plus de forces dans le corps, je n’ai rien compris, c’est un gros mot pour moi la libération, j’y crois plus. J’ai plus d’espoirs, je ne sais plus, je suis fatigué, mentalement, physiquement, je n’ai plus de forces.
Je suis entré en France j’avais 17 ans à peine, je suis arrivé tout seul, je n’avais personne pour m’aider, pour me dire d’aller à l’école ou pour me donner une chambre de foyer. Ma mère et ma sœur sont en Italie. J’ai traîné, j’ai fait le con je regrette, j’ai fait ma peine, j’ai payé mes parties civiles et depuis je n’arrive pas à m’en sortir. C’est même plus la double peine pour moi, c’est la quadruple peine. J’ai fait presque cinq ans en prison, après j’ai fait 45 jours en rétention, ça fait la double peine, après ils m’ont ramené à Meaux-Chauconin, ça fait une triple peine, et là ils me ramènent ici au CRA. Je suis dégoûté, c’est tout…
Et puis j’en ai vu des prisons mais rien à voir, ici tout est sale, les douches, les toilettes, c’est horrible. Des fois, il fait froid…
Je ne comprends pas l’intérêt de me garder ici. Pourquoi en fait ? J’ai passé cinq ans en prison quand j’y étais la police des frontières est venue me voir pour me demander mes empreintes, ils m’ont demandé une photo, ils m’ont posé des tas de questions, j’ai tout donné, j’ai répondu à tout et après ils ne m’ont jamais donné de rendez-vous avec le consulat, jamais. Ils ont préféré me ramener en rétention six mois plus tard pour me donner des rendez-vous au consulat. Soit ils me ramènent à l’avion, soit ils me relâchent, je ne sais pas ! Mais je ne crois pas que le consulat donnera de laissez-passer. Après j’ai entendu des histoires ça arrive comme quoi des Algériens on les envoie en Tunisie, des Tunisiens en Algérie et des Marocains je ne sais pas où, j’ai peur que ça m’arrive.
J’en ai vu des trucs ici, des gens qui ont peur d’être renvoyés et qui avalent des bouts de fer, des bouts de coupe-ongles et qui sont renvoyés avec ça, ils sont expulsés avec ces trucs dans le ventre. Il y en a qui sont renvoyés au bled alors qu’ils n’ont personne là-bas, toute leur famille est en France. Ils ne peuvent même pas s’organiser aller chercher leur femme, leur bébé. On ne peut pas renvoyer quelqu’un comme ça, du jour au lendemain. Les gens, ils ont une vie ici. Il y a un Monsieur qui m’a fait beaucoup de peine, dès qu’il est arrivé ici, il avait des cuillères dans le ventre. Il n’arrêtait pas de dire qu’il avait mal. Ça m’a choqué. L’autre aussi qui vient d’arriver, hier soir, il m’a choqué vraiment. Au début quand il est arrivé il parlait, il s’exprimait. Hier soir, il n’arrivait plus, il ne pouvait même plus parler, il me regardait, il me fixait mais c’est comme si il n’était pas là. Apparemment, ils l’ont piqué à l’hôpital. Avec toutes ces histoires je n’arrive pas à dormir, je pense à tout ça, à tous ces gens, tous ces gens que j’ai vus. Tout est gris, c’est que des grillages, des portes et des portes, des policiers, des « signez ici », des salles d’attente… Je n’arrive plus à dormir le soir.
Je ne sais pas comment ça va se passer, je ne sais pas si ils vont me laisser sortir ou m’envoyer dans je ne sais quelle prison. Je ne sais pas comment j’en suis arrivé là.
Au moins, en prison on a des tas de choses à faire, on travaille, on fait du sport, on va à la bibliothèque. Ici on a rien à faire, juste on attend, avec le stress tous les jours.
Et les policiers ils font ce qu’ils veulent. J’ai peur. J’me dis ils pourraient venir dans la nuit, me tuer, et dire que je me suis tué moi-même, j’me dis je n’sais pas, peut-être ils sont capables. Quand on mange ils se foutent de notre gueule, quand on parle ils se foutent de notre gueule. Parfois ils s’acharnent pour rien. Avant en prison j’ai jamais eu le moindre problème en cinq ans et ici, il se passe des tas de choses.
Moi je suis là, je ne peux rien faire, je ne peux pas avancer dans la vie. »
Quelques jours après nous avoir livré ce témoignage, Youssef a été expulsé en Tunisie.
[1] Un consulat peut délivrer un laissez-passer qui permet d’expulser une personne dans son pays d’origine. Refuser de s’y présenter peut être considéré comme un délit d’obstruction à l’exécution de la mesure d’éloignement.