Mobilisation à Nîmes : contre toutes les expulsions !

Alors qu’une mobilisation a lieu à Nîmes afin d’inciter le Préfet du Gard à ne pas appliquer les mesures dîtes de Dublinage1 qui permettraient d’expulser la trentaine de personnes retenues en centre d’accueil et d’orientation (CAO), nous pensons important de préciser et d’élargir les raisons pour lesquelles lutter contre les expulsions nous paraît primordial.

A quoi sert le règlement Dublin ?

Rappelons pour commencer que le règlement Dublin III a été mis en place afin de faire porter aux principaux pays d’entrée de l’Union Européenne2 la responsabilité de l’immigration clandestine et d’inciter ceux-ci à plus de fermeté dans la sécurisation de leurs frontières. Avec l’arrivée massive de réfugiés depuis 2015, ce système s’est vu totalement dépassé, et le plan de relocalisation plus équitable censé répartir cette charge dans les autres pays Européens n’a jamais fonctionné3.

En plus de nier le droit légitime de chacun à vivre là où il l’entend, ce règlement va de paire avec une volonté très nette de renvoyer au plus loin les personnes venant demander l’asile en Europe. D’un côté, les états Européens les plus éloignés géographiquement des zones d’entrées peuvent s’appuyer sur leurs voisins situés plus au sud pour se départir de leur fardeau. De l’autre, chaque pays d’Europe, appuyé par la Commission Européenne, négocie des accords dits de renvoi avec les pays tiers de provenance afin d’expulser directement hors de l’Europe.

Ce petit jeu de passe-passe permettrait ainsi de gérer les exilés presque aussi simplement qu’un lot de marchandises si ne s’appliquaient à ceux-ci les conventions internationales censées protéger leurs droits les plus élémentaires. Il faut donc légitimer ces déportations et accorder un semblant de garde-fou. D’où le concept de ne pas renvoyer des personnes si « un traitement inhumain ou dégradant » pourrait leur être infligé. Des notions telles que celle de « pays sûr » ou « pays défaillant » permettent de distinguer les pays où l’on peut expulser en toute quiétude de ceux où il faut prendre plus de précautions. Toute une série d’euphémismes administratifs permettant à la fois de déresponsabiliser les preneurs de décisions et d’évincer les réelles significations auxquels leurs actes peuvent conduire…

Pourquoi s’opposer à une expulsion Dublin ?

Ce sont des raisons très concrètes qui font que les demandeurs d’asile s’opposent à être expulsés dans un pays qu’ils ont déjà traversé. Les conditions d’accueil, de traitement des demandes d’asile, d’exploitation salariale sont encore plus défavorables que celles qu’on l’on peut trouver ici. Le souvenir des camps dans les îles grecques, les prisons en Hongrie où sont dorénavant accueillis les demandeurs d’asile, ou les centres surpeuplés d’Italie ne sont guère attrayants à leur yeux. De surcroît, un certain nombre de témoignages et de rapports détaillés font état de tortures, violences, et humiliations de la part des policiers de ces pays qu’ils ont réussi à quitter. D’autre part, pour les personnes restant déterminées à vivre dans le pays qu’elles ont choisi, les expulsions Dublin obligent à retraverser une fois encore des frontières de plus en plus surveillées et dont le passage peut s’avérer parfois mortel.

Se rajoute à cela un autre problème majeur. L’Italie, qui est actuellement le principal pays de dublinage, a à ce jour plus d’avance que ses voisins en matière d’expulsion des ressortissants Soudanais dans leur pays. Pour un opposant politique, ou même une simple personne originaire du Darfour appartenant à une ethnie considérée comme rebelle, une expulsion à Karthoum peut signifier l’emprisonnement, la torture ou la mort. Ce sont en effet les services du dictateur Omar el Beshir qui réceptionnent dès leur retour les personnes en exerçant pressions, menaces, et interrogatoires.

L’Allemagne et la Norvège, autres pays de renvoi depuis la France, ont pour leur part déjà commencé les déportations vers des pays en guerre comme l’Afghanistan. La prochaine mouture de Dublin IV prévoit des règles encore plus strictes, envisageant le renvoi de mineurs, et permettant des renvois directs hors-Europe. La Libye, pays où les clandestins sont continuellement rackettés, emprisonnés et maltraités, est particulièrement visée par ces accords. Mais il demeure la principale porte d’entrée en Europe alors peu importe ce qu’il s’y passe réellement... 

 

Un traitement arbitraire des demandes d’asile

Les politiques migratoires, dont le dispositif particulier des CAO est parfaitement représentatif, se basent sur un principe d’isolement des individus et de tris opérés sur des critères arbitraires. En plus de son niveau d’étude et de sa situation professionnelle qui détermineront sa capacité à s’intégrer4, une personne n’aura pas les mêmes chances d’obtenir une régularisation selon sa situation, sa nationalité, son parcours, le moment et même l’endroit ou elle déposera une demande.

Nous voyons par exemple que si tous les préfets de départements ont reçu une instruction leur demandant de ne pas appliquer de dublinage pour les personnes venant uniquement de Calais, tous ne lèvent pas cette mesure qui reste discrétionnaire et donc au bon vouloir de chacun. Celles arrivées en CAO après le 27 octobre 2016 n’entrent par exemple pas dans cette mesure. Pour les personnes transférées depuis les camps de Paris, une nouvelle instruction inciterait au contraire les préfets à appliquer cette fois-ci le règlement…

Cet ensemble de mesures arbitraires a pour conséquences, en plus de l’inégalité, de l’incertitude et des situations particulières engendrées, qu’il est plus difficile de s’opposer collectivement à celles-ci car chacun se retrouve compartimenté dans des logiques différentes. Face à cela, il importe de s’accorder sur une opposition claire face aux expulsions, pour toutes et pour tous.

De nombreuses questions en suspens…

Nous voyons donc que la levée des dublinages demandée au préfet, si elle a lieu, ne concernera vraisemblablement qu’une partie seulement des publics. D’autres personnes ne passent pas forcement par le dispositif des CAO. Elles peuvent par exemple être arrêtées puis détenues au centre de rétention de Nîmes, mais étant isolées derrière les murs ne bénéficier d’aucun soutien collectif.

La levée des dublinages ne représente pas une fin en soi, mais une étape permettant de maintenir un dossier de demande d’asile en France. La question de l’obtention d’un titre de séjour reste entière quand on sait que pour les personnes de nationalité Soudanaise par exemple, le taux de refus atteignait un peu plus de 50 % en 2016.

Une partie des personnes verra donc leur demande refusée et une fois les recours épuisés, quelles solutions resteront pour s’opposer aux expulsions ? Se posera alors la question de la mise en place de solutions de soutien pour ces personnes devenues clandestines.

Nous pensons également aux mineurs pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et notamment ceux qui étaient présents au CAO de Monoblet. Combien d’entre eux demeurent hébergés en service d’urgence dans des hôtels de la rocade nîmoise, et de quelle manière sera traitée leur dossier sachant que l’hébergement et la nourriture sont des services à peine fournis ? Combien d’entre eux suivent une scolarisation, facteur déterminant le jour de la majorité afin d’éviter d’être expulsé ?

Vers une dynamique locale ?

Diverses créations de comités et réseaux de soutien se mettent en place localement depuis des mois (Nîmes, Alès, Cévennes…) et viennent renforcer les initiatives existant auparavant. La récente arrivée en nombre de réfugiés via les CAO et la réalité actuelle amènent à dépasser les questions liées uniquement à l’accueil des réfugiés telles que nous les avons surtout vu depuis 2015. La nécessité de s’organiser face aux expulsions semble voir le jour et des mobilisations ont lieu dans plusieurs lieux concernés. Face à cette prise de conscience émergente, nous tenons à partager quelques éléments qui nous semblent importants à prendre en considération dans une perspective de créer un rapport de force assez conséquent pour s’opposer concrètement aux expulsions.

De nombreuses personnes demeurent isolées et ne bénéficient ainsi pas d’un soutien qui pourrait leur être bénéfique. Nous pensons aux lieux d’enfermements comme le CRA de Nîmes, ou deux Soudanais ont failli être renvoyés dans leur pays en début d’année, mais aussi les lieux ou des associations gestionnaires limitent les possibilités de se rencontrer5. De nombreuses personnes demeurent également isolées car illégalisées et sans réseau de soutien, il importe donc de pouvoir entrer en contact et selon les volontés, appuyer demandes et revendications.

Nous pensons également que se mettre en lien et échanger sur les situations auxquelles nous nous confrontons est nécessaire car les méthodes et pratiques d’expulsions évoluent vite. Il est à la fois enrichissant et pertinent de savoir ce qu’il se passe d’en d’autres lieux, et à l’intérieur des murs. Cela permet également de donner une visibilité et de s’organiser collectivement. A la fois donner au local une dimension plus large et percutante, à la fois enrichir la vision globale que l’on peut avoir en relayant nos expériences. D’autant plus, informer, diffuser des témoignages directs, rechercher et compiler ces données permet de sensibiliser le public à la réalité des expulsions.

Envisager une mobilisation large en lien avec celles des autres régions ou de la frontière, créer des dossiers juridiques et campagnes contre les expulsions, anticiper des situations qui conduisent des personnes à la clandestinité (notamment les mesures de dublinage), et envisager divers moyens d’actions comme l’opposition physique lors des expulsions sont autant de possibilités à envisager.

Les méthodes, actions ou positionnements des différents acteurs présents ne nous semblent pas poser de limites mais au contraire être une richesse à articuler afin de rendre plus conséquentes nos luttes.

D’autres articles  : sur les violences en Italie, sur la situation au Soudan : (ici, ici et ).

1 Le règlement Dublin III permet d’expulser un demandeur d’asile dans le premier pays européen dans lequel un demandeur d’asile a laissé ses empreintes ou une preuve de son passage.

2 Tels l’Italie, et l’Espagne qui sont situés situé aux abords de la méditerranée ou la Grèce, Bulgarie, et Hongrie sur la route des Balkans.

3 C’était l’idée du plan de relocalisation adopté par l’UE en septembre 2015, avec des quotas de répartition dans l’UE de 160.000 réfugiés depuis la Grèce et l’Italie. Ce plan contesté, notamment par la Hongrie et la Slovaquie n’a permis de répartir pour l’heure que près de 11.000 personnes. Selon les statistiques publiées par le ministère de l’intérieur, le nombre de procédures Dublin a dépassé les 22 000 en 2016, soit près de 20% des demandes.

4 En Allemagne, la société Adecco, leader dans l’intérim, est chargée par les autorités de réaliser la première inscription des demandeurs d’asile à leur arrivée dans le pays.

5 Cette limite ne se veut pas idéologique, mais strictement rationnelle : une structure contractant avec une préfecture doit se tenir à certains engagements vis à vis d’elle, ce qui peut se révéler incompatible avec un dépassement des cadres institutionnels ou légaux.

This entry was posted in General. Bookmark the permalink.