Alors que les frontières de l’Europe se sont largement refermées ces derniers mois et que l’hiver bloque une partie des arrivées, l’avenir des milliers d’illégaux étant parvenus à poser un pied sur le sol européen semble incertain. Ceux pour qui aucun état ne souhaite la présence sur son territoire demeurent coincés entre l’attente du traitement de leur régularisation et le risque d’une expulsion prochaine.
De la destruction des campements ou logements informels à la répression de toute forme de solidarité dépassant le cadre toléré, c’est également par le tri et l’isolement que le traitement de la « question migratoire » s’opère.
Hotspots, centres d’accueil et d’orientation, centres de rétention, chambres d’hôtels avec assignation à résidence… : toute une large gamme d’enfermement permet de taire les souffrances et de cacher les sordides situations que subissent des milliers de personnes, ballottées dans des rouages administratifs opaques, arbitraires et répressifs. Nous comprenons dès lors que s’attaquer aux rouages de la machine à expulser passera par briser le silence créé entre ces murs.
Lundi 2 janvier, Cona (Italie). Sandrine Bakayoko, vingt-cinq ans originaire de la Côte-d’Ivoire, est décédée dans un centre pour demandeurs d’asile de Cona. Comme l’a indiqué son mari, Sandrine « avait été malade pendant des jours, toussait et avait de la fièvre ». Dans la matinée elle a chuté dans la salle de bains et seulement après de nombreuses heures, quand est venue une ambulance pour la prendre, il était trop tard. Suite à cela dans la nuit des personnes du camp se sont révoltés pour dénoncer leurs conditions de vies à l’intérieur du centre. Le personnel s’est barricadé dans les bureaux et les exilés ont brûlé des meubles jusqu’à ce que la police intervienne. Les conditions de vies sont en effet plus que rudimentaires : pas de chauffage, entassement des lits, insalubrité… Ce centre d’accueil situé à une cinquantaine de kilomètres de Venise se trouve en fait être un ancienne structure militaire (ancienne base de lancement de missiles) entourée de barrières de fils barbelés et n’a définitivement rien d’accueillant.
En Italie, les communes qui le souhaitent reçoivent une contrepartie financière pour accueillir les migrants, cet accueil se fait sur la base de 2,5 migrants pour 1000 habitants. Or la petite ville de Cona accueille près de 1500 migrants pour 3000 habitants, le choix est clairement fait d’installer ce camp loin des grandes villes et de toute solidarité. Cette révolte s’inscrit dans un contexte où l’Italie a choisi de durcir sa politique migratoire et d’augmenter sa capacité d’enfermement avec pour projet la construction de nouveaux centres de rétention.
Jeudi 5 janvier, Saint-Denis. Le bidonville situé au 41 avenue de Stalingrad à Saint-Denis est expulsé. Treize camions de CRS sont sur place depuis le matin et attendent dehors, équipés, matraques et flashballs en évidence, police et préfecture à leurs côtés. 30 personnes, sur les 300 présentes, doivent être relogées dans des hôtels. Celles-ci ont été choisies par l’ADOMA (société chargée d’effectuer le « diagnostic social » avant l’expulsion) et seules les personnes jugées « vulnérables » auront droit à un toit. Est entendu par vulnérable les familles ayant des enfants en bas âge ou des parents très âgés, pas les autres qui dorment dans la rue avec des températures en dessous de zéro… La société ADOMA impose d’être présent sur le bidonville au moment du recensement pour être « évalué », tant pis donc pour les personnes qui n’étaient pas là lors de celui-ci…
Vendredi 6 janvier, Sospel. Vendredi après-midi, deux voitures suivent la route entre Breil-sur-Roya et Sospel. A bord, quatre militants et neuf migrants tentent de passer l’un des douze points de contrôles situés dans cette région frontalière très surveillée. Il était prévu que les clandestins descendent des véhicules avant le barrage puis rejoignent à pied les automobilistes quelques mètres plus loin. Ces derniers sont finalement arrêtés, à cause d’une dénonciation, puis placés en garde à vue. Ces arrestations surviennent alors que la répression et les procès touchent de nombreux militants dans la vallée, que le délit de solidarité est plus que jamais d’actualité.
Vendredi 6 janvier, Châlons-en-Champagne. C’est sur le bitume du trottoir, au pied du foyer Bellevue, foyer d’accueil des Mineurs Isolés Etrangers, que le corps sans vie du jeune Denko âgé de 16 ans, a été ramassé. Selon ses amis, il venait de se jeter du 8ème étage pour échapper à la police dont il pensait qu’elle venait le chercher. Il était arrivé en France en octobre 2016, après un voyage long et périlleux en partance du Mali en passant par la Libye et l’Italie. Il a attendu 1 an et demi en Italie de réunir l’argent nécessaire pour rejoindre la France. Puis il a encore attendu 2 mois et demi à Châlons dans les services de la protection de l’enfance qu’on l’évalue puis qu’on lui signifie que sa minorité n’était pas reconnue et qu’il ne serait pas pris en charge. Il l’avait appris la veille. Ne sachant pas où aller, il n’aurait pas voulu quitter le foyer. Mais dans ces cas-là, la police est sollicitée… Quelques jours plus tard, une marche silencieuse est organisée par les proches de Denko.
Ce drame met en lumière la tragédie que vivent les jeunes étrangers livrés au tamis de l’évaluation et de la pression institutionnelle, maltraités, suspectés, dénigrés, parce que la France ne veut pas les accueillir. L’Etat se dédouane de ses responsabilités, les conseils départementaux trient et rejettent par souci d’économies budgétaires. Les jeunes se retrouvent à la rue, errent de ville en ville, sans avenir, et ils en meurent. Et même quand ils sont pris en charge, l’accompagnement est insuffisant, la suspicion continue et l’angoisse du lendemain n’est jamais levée tout à fait.
Comme dans tous les lieux d’enfermement, les centres de « protection » de l’enfance sont des endroits où il est difficile de faire sortir des informations sur ce qu’il se passe à l’intérieur. Une éducatrice a témoigné sur les conditions indignes d’accueil des jeunes au foyer Bellevue suite à cette mort (voir ici). Quelques jours plus tard, elle recevait de sa direction une convocation à un entretien préalable et elle risque aujourd’hui un licenciement. (repris de http://ilsappelaitdenkosissoko.hautetfort.com)
Lundi 9 janvier, Paris. Les CRS, secondés par des équipes municipales, ont une nouvelle fois utilisé la violence pour détruire la trentaine de tentes des migrants refoulés par le centre humanitaire de la porte de la Chapelle. Leurs affaires, tentes, matelas, et duvets ont fini dans les bennes de la Propreté de Paris. L’expulsion s’est déroulée de nuit, alors que les températures descendent ces temps-ci à -5°.
Mercredi 11 janvier, Lincoln (Royaume-Uni). Un nouveau décès est survenu à Morton Hall, cette fois par suicide. Celui-ci arrive juste un mois après les deux décès dans les centres de détention de Morton Hall et Colnbrook de décembre 2016. La raison qui explique cette mort est le fait que la remise en liberté sous caution du détenu avait été rejetée une quinzaine de jours auparavant. Sa petite amie, alors enceinte, n’avait pu se rendre à l’audience de mise en liberté, parce qu’elle risquait d’accoucher et que Morton Hall n’est pas un endroit facilement accessible. Leur bébé est né le jour du suicide. Le détenu était au courant de la naissance et avait exprimé un énorme chagrin de ne pas être autorisé à voir la naissance de son enfant.
Selon les détenus, l’atmosphère au centre est très mauvaise et les gens sont malades et fatigués d’être enfermés dans cet endroit. Ceux-ci comparent constamment les centres de détention aux prisons, ils rapportent de façon écrasante le peu de soins et d’accompagnement psychologique. L’un d’eux maintenant sorti de l’un de ces centres raconte que tout le monde reçoit des antidépresseurs et d’autres médicaments, un chariot est même utilisé dans les couloirs pour apporter les médicaments au détenus. Tant que des centres comme Morton Hall existeront, avec des périodes indéfinies d’enfermement où les détenus ne savent s‘ils seront libérés, déportés, ou continueront à rester sans but en détention, les décès se poursuivront. (sources : http://unitycentreglasgow.org/)
Vendredi 13 janvier, Mytilène (Grèce). Depuis octobre 2016, Mohamed A. est en détention administrative au siège de la police de Lesvos, car ses demandes d’asile politique ont été rejetées. Il est en grève de la faim depuis le 13 décembre 2016, exigeant que sa déportation soit annulée et qu’on lui accorde l’asile politique. Une tentative de l’expulser a eu lieu ce vendredi 13 janvier, alors qu’il était à son 32ème jour de grève de la faim.
Alors que sa santé s’est constamment détériorée ces derniers jours, il a été transféré à l’hôpital Vostaneio de Mytilène le 10 janvier, où les médecins ont décidé qu’il devait être hospitalisé. Il est retourné au pénitencier pour ramasser ses affaires, tout en étant assuré par la police qu’il devait être être transféré à l’hôpital quand ce serait fait. Toutefois, il a été retenu dans le pénitencier, où la police lui a dit qu’il serait emmené à l’hôpital le lendemain matin. Lorsqu’ils l’ont finalement conduit à l’hôpital le lendemain, ils ont obtenu son consentement pour ne pas être hospitalisé, car ils l’ont rassuré sur son cas et lui ont menti pour le transférer à Athènes dans les jours suivants. Le jeudi 12 janvier, le commandant de la police a annoncé à Mohamed que sa déportation vers la Turquie avait été décidée, à travers les règles de réadmission de l’infâme accord entre l’UE et la Turquie.
Suite à la pression exercée par des avocats et des personnes solidaires avec lui, Mohamed est allé de nouveau à l’hôpital, où les médecins affirment qu’il doit être hospitalisé car il manifeste des symptômes évidents de fatigue (vertiges, évanouissements, troubles de la vue) et lui administrer une solution saline. Son hospitalisation a entraîné l’annulation de son expulsion, ce qui n’a pas été le cas pour dix autres personnes, qui ont été déportées dans la matinée du vendredi 13 janvier. Pour le moment, Mohamed continue d’être hospitalisé, tandis que la police fait tout son possible pour faire pression sur les médecins de l’hôpital afin qu’ils puissent reprendre son expulsion. En même temps, contrairement aux règles de l’hôpital, ils ont interdit l’entrée de personnes solidaires avec Mohamed dans sa chambre. (Sources : Collectif ”Musaferat” à Lesbos)
Samedi 14 janvier, Côtes Libyennes. Un naufrage est survenu au large des côtes Libyennes et a laissé plus d’une centaine de disparus, dont de nombreuses femmes et enfants. Seules quatre personnes ont pu être secourues. L’embarcation a pris l’eau après que ses deux moteurs soient tombés en panne. Plus de 5000 personnes seraient mortes ou disparues en Méditerranée en 2016.
Mercredi 18 janvier, Belgrade (Serbie). Le camp informel des anciens hangars ferroviaires à Belgrade, où survivaient par des températures hivernales environ 2000 réfugiés est évacué. Une petite partie des réfugiés est transportée vers le nouveau centre d’Obrenovac, capable de recevoir 150 personnes, à une trentaine de kilomètres de la capitale serbe. Une association humanitaire tente de déployer des tentes chauffées malgré l’interdiction des autorités, et pour les autres, il ne reste qu’à chercher de nouveaux abris.
Aux abords de Subotica, ville frontalière avec la Hongrie, de nombreux campements informels sont également détruits ces jours-ci par la police. Les températures descendant jusqu’à -20° rendent la vie impossible pour les migrants qui refusent ou ne peuvent aller dans les camps fermés (voir vidéo ici). La Serbie a convenu avec l’UE d’accueillir 6000 réfugiés. Ils seraient actuellement plus de 9000, dont 7000 dans les camps, les familles en particulier. Des températures extrêmement froides plongent dans des conditions de survie des milliers de personnes vivant à la rue ou dans des abris de fortune. C’est le cas également dans les îles Grecques où près de 15000 réfugiés ont été ensevelis sous la neige durant plusieurs jours et demeurent interdits de tout mouvement à cause du mécanisme de tri des « hotspots » instauré par la commission européenne.
Samedi 21 janvier, Calais. Un jeune éthiopien de 20 ans est mort ce matin, écrasé par plusieurs camions sur l’autoroute. Il s’agit du premier décès connu à la frontière cette année.
Vendredi 27 janvier, Foix. Les personnes hébergées au CAO (Centre d’accueil et d’orientation) de Saverdun aidés par leurs soutiens organisent un rassemblement et revendiquent : l’annulation des procédures Dublin ; d’être hébergés plus près des villes ; que les trajets pour se rendre à l’Ofpra (Paris) soient pris en charge, avoir accès à des avocats et à des traducteurs en particulier pour écrire les récits de vie essentiels dans le dossier pour l’Ofpra et pour les démarches en préfecture ; des délais d’attentes plus courts pour toutes les démarches. Concernant le CAO : avoir accès à internet notamment pour contacter leurs familles et pour apprendre des langues ; des transports pour se déplacer, raccourcir les délais pour voir un médecin (ça prend parfois plus d’un mois), le maintien des cours de français qui ont mis 8 mois à se mettre en place, qu’il n’y ait plus de mesures d’autorité (comme celle de couper la télé à 23h…), pouvoir rencontrer et inviter des gens au centre, être plus écoutés dans leurs demandes au sein du centre.
Lundi 30 janvier, Marseille. Des personnes hébergées dans les CAO répartis autour de Marseille et leur soutien organisent un rassemblement devant la préfecture des Bouches du Rhône pour exiger la levée des mesures Dublin, comme leur avait promis les responsables du gouvernement au moment du démantèlement de Calais, et ainsi pouvoir effectuer leur demande d’asile à Marseille. D’autres manifestations ont eu lieu devant de nombreuses préfectures dans toute la France pour exprimer des revendications similaires.
Mardi 31 janvier, Londres (Royaume-Uni). Un vol charter a permis d’expulser une centaine de personnes du Royaume-Uni vers le Nigeria et le Ghana, malgré plusieurs semaines d’action contre les déportations où ont été organisées de multiples manifestations et campagnes d’information. Parmi les déportés, certains vivaient ici depuis plus de 10 ans, d’autres ont laissé sur place des enfants et des conjoints, certains risquent leur vie en raison de leur orientation sexuelle…
Les vols charter font partie de la pratique habituelle du Home Office et consistent à enlever de force des personnes en masse (généralement entre 60 ou 80, quelques fois jusqu’à 100 personnes) sur des vols privés partant d’un lieu non divulgué au milieu de la nuit. Les vols affrétés ont pour destination le Nigeria, le Ghana (une fréquence de deux vols par mois pour ces pays), le Pakistan et l’Albanie, Ceux pour l’Afghanistan risquent de reprendre prochainement. Ces vols peuvent s’arrêter dans d’autres pays au sein de l’UE, comme la Belgique, pour ramasser plus de détenus sur le chemin.
Ces déportations de masse sont souvent utilisées pour expulser par la force des personnes vers des pays qui reçoivent peu de vols commerciaux en provenance du Royaume-Uni, parce qu’ils sont considérés comme particulièrement dangereux pour s’envoler. Les vols charters embarquent des personnes dont la demande d’asile a été rejetée par le Home Office ou d’autres qui ont passé toute leur vie au Royaume-Uni, mais ne possèdent pas la citoyenneté britannique. Ces dernières, si elles ont été reconnues coupables d’un crime les condamnant à une peine d’emprisonnement de plus d’un an, sont transférées en détention d’immigration, puis expulsées vers un pays qu’elles ne connaissent pas.