Texte reçu par mail.
Hier soir, dimanche 5 février 2017 au centre de rétention administrative (CRA) de Marseille – une personne détenue a tenté de se suicider en apprenant son passage devant le Juge des libertés et de la détention (juge qui cautionne la détention des étrangers soumis à une expulsion vers leur pays d’origine / pays tiers).
Dans le désespoir de se faire expulser il s’est pendu dans sa cellule.
Hospitalisé, son «dossier» a été tranché avec sang froid par la magistrate. Son absence est validée par un fax de la préfecture «j’ai l’honneur de vous annoncer que M. ……. ne pourra être présent à son audience en raison de son hospitalisation». Sa «réintégration» au centre de rétention en vue de son expulsion une fois passé le «danger vital» n’est pas jugée «présenter quelconque risque médical». Pas de commentaire sur ce dont parle un suicide, de l’épuisement psychologique, de la détermination à ne pas se faire expulser dans un pays qu’on a tout fait pour quitter.
L’illégalisation, la détention et la déportation déploient un tissu de violences légales visant à étouffer les individus illégalisés. A les supprimer. Il n’est pas rare que des gens arrivent à bout. Les atteintes à soi font ressaillir l’intensité de l’injustice vécue – mais elles sont tues par les mêmes murs qui jonchent nos villes et se répercutent sur nos imaginaires.
Ici, nous sommes enterrés les yeux ouverts – un parloir, un matin, un homme, un ami, un étranger.
Et nous, où sont nos yeux ?
Les violences légales en CRA sont indénombrables : privation de liberté, indétermination du devenir immédiat et de l’avenir à plus long terme, privation de l’autonomie, de la disposition de soi, privation de la sociabilité, des proches, du sens, de la vie en fait, privation de communication, d’occupation, d’information cohérente et compréhensible, de défense digne de ce nom dans les procès imposés et biaisés et qui revêtent autant d’humiliations… Détenus dans des conditions plus que déplorables, souvent sans chauffage en hiver, cuisant en l’été avec les rats et les cafards, avec une alimentation insuffisante où la fréquence de plats composés de porc est trop élevée pour être un hasard, avec pour seule vue un infime bout de ciel recouvert de grillage et encore et encore des murs barbelés. Vivant dans la menace quotidienne d’être déportés dans des pays qu’ils ont quitté par espoir de trouver à vivre ailleurs, ou par force de lieux devenus invivables, parfois prenant des années pour arriver jusqu’en France, ils sont déportés contre leur volonté, menottés, bâillonnés, scotchés sur des chaises roulantes ou ficelés en paquets tenus à bout de bras par des escortes policières qui appellent ce que nous appelons expulser «faire du saucisson hallal».
Ironie, ce même juge des libertés et de la détention qui expulse les étrangers le matin se prononce l’après-midi sur les hospitalisations sous contrainte. Il y a peu de temps, la douleur de vivre en ce monde a fait que nous avons assisté au jugement d’un ami – par ce même juge – pour suicide. Le juge a déterminé que sa tentative de suicide était un attentat contre lui même trop important pour qu’il soit laissé libre : «sa» «protection» «nécessitait» son internement de force dans un hôpital psychiatrique.
Dans les deux cas la détention posée comme «solution» par l’Etat est inacceptable. Mais on ne peut pas ne pas s’hérisser de la différence de considération de la souffrance d’une personne dont la présence est légalisée et celle d’une personne illégalisée.
C’est dans notre ville, à 15 minutes de chez toi ou moi, que la frontière tue. En silence. Dans notre silence. Dans les prisons, les rues et les foyers, les centres d’hébergement où le désespoir est nourri par des traitements dégradants, mensongiers et injustes. Dans le secret de la légalité, entre les mains policiers ou bureaucrates, murs d’une administration française qui signe toujours «au nom du peuple français».