« C’est dur quand je pense au nombre de jours passés depuis mon arrivée ici. Il n’y a rien à faire. Tout ce que nous faisons, c’est penser, parler entre nous et dormir. Il n’y a pas de télévision, pas de livres et les murs sont noirs de saleté…. L’eau est trop froide et on ne peut pas se doucher. »
Depuis un centre fermé, parole d’un enfant exilé enfermé en Grèce.1
La situation cet été aux frontières fut des plus tendue. Loin de l’effervescence médiatique connue l’an passé pendant laquelle les gouvernants promettaient encore d’apporter des solutions à l’accueil des réfugiés, c’est au contraire une politique des plus réactionnaires qui n’a eu de cesse de se mettre en place, tant au niveau des discours, que des pratiques utilisées. Les orientations prises par l’Union Européenne et les États membres sont alarmantes et ne laissent présager qu’un alourdissement des mesures sécuritaires, et des tensions à venir. Les dernières déclarations des représentants de ces instances n’en sont que des exemples2 et la création d’un nouveau corps européen de garde-frontières en lieu et place de Frontex marque une étape supplémentaire dans la guerre menée par l’Union Européenne contre les migrants et les réfugiés3.
Les contrôles et blocages aux frontières n’ont donc cessé de se renforcer sur les lieux de passages des exilés, forçant ceux-ci à continuellement trouver de nouvelles brèches au sein de la forteresse. La forte répression et le contrôle exercé cet été à la frontière franco-italienne entre Vintimille et Menton a dévié une part des traversées dans les vallées montagneuses de la Nervia et de la Roya, puis entraîné comme réponse immédiate le déploiement de forces militaires (chasseurs alpins en Italie, militaires mobilisés dans le cadre de l’opération sentinelle en France) et policières. Ainsi, des patrouilles rodent dans les villages, dans les gares et sur les sentiers4. D’autres cols alpins situés plus au nord ont dans la foulée également vu leur postes douaniers ré-ouvrir.
Au début du mois d’août, ce fut au tour de la Suisse d’intensifier le blocage de sa frontière avec l’Italie au niveau du canton de Tessin lorsque celle-ci est devenue sujette à des passages plus importants. Un campement comptant jusqu’à 500 personnes refoulées à Chiasso apparaît dès lors côté Italien La Suisse déclare alors ne pas vouloir devenir un pays de transit et met en place un contrôle des plus strict (contrôle systématique des accès routiers et ferroviaires, 2000 gardes frontières, drone militaire détectant les traces de chaleur la nuit…). Fin août, l’Allemagne, pays qui prônait l’ouverture il y a quelques mois à ses collègues européens, renforce également ses frontières avec la Suisse…
Ainsi, de la Turquie à la Norvège, des Balkans à Calais, les murs, barbelés et contrôles se réajustent et s’intensifient au grès des passages et des politiques menées par chaque État. Se profile ainsi une sorte de jeu de l’oie grandeur nature où les pions sont ceux qui fuient l’horreur économique, les catastrophes climatiques et les guerres, et dont l’issue de la partie, si elle ne se révèle pas forcement fatale, demeure bien souvent dramatique.
Les conditions d’accueil, si l’on peut encore utiliser ce terme pour désigner l’action des politiques menées en terme d’asile ou d’intégration, sur le territoire restent quant à elles alarmantes. Combien de personnes à la rue, dans des camps, enfermées, où dans des situations extrêmement précaires ? Aux conditions matérielles s’ajoutent la peur de l’expulsion, les traumatismes déjà endurés, la complexité du parcours administratif pour espérer obtenir un titre de séjour, et le harcèlement policier. Aux points de crispations comme dans les grandes villes et aux abords des axes de passages, les tensions sont extrêmes et encouragées de fait par des états privilégiant la répression et au tout sécuritaire au détriment de solutions adaptées.
A Paris, violences policières, gaz lacrymogènes, humiliations, OQTF, garde à vue et enfermement en centre de rétention sont devenus la politique généralisée. Les logements occupés et les campements sont constamment expulsés comme par exemple le campement de l’avenue de Flandres5, les logements boulevard la Boissière à Montreuil6, ou le camp Wilson à Saint Denis7. Disperser et invisibiliser la présence des « indésirables » permet d’empêcher que ceux-ci se regroupent et puissent s’organiser, et maintient une tension permanente.
A Calais, alors que des commerçants grognent que la jungle leur fait concurrence en plus de donner mauvaise image à « leur » ville, la préfecture en profite pour faire perquisitionner les petits commerces et restaurants à l’intérieur du bidonville. Les arrestations de ceux désignés comme propriétaires ou responsables et la destruction de la nourriture et matériel viennent s’ajouter aux tensions déjà présentes dont notamment la menace constante d’expulsion (remise à l’ordre du jour et prévue d’ici la fin de l’année) et les provocations policières8 (en moyenne 100 tirs de lacrymogènes par jour depuis octobre 2015 selon les syndicat de police). Des bagarres éclatent alors entre habitants de la Jungle, allant parfois jusqu’à la mort, ce qui reste néanmoins prévisible du fait de la promiscuité et des conditions dans lesquelles 9000 personnes y séjournent.
A Vintimille, dans le centre géré par la Croix Rouge Italienne, plus de 500 personnes s’entassent depuis la ré-ouverture du centre situé à l’écart du centre ville dans containers en bordure de voix rapide. A leur arrivée, un numéro est remis à chaque pensionnaire, la police est présente à l’intérieur du camp, les téléphones portables pouvant prendre des photos sont interdits à l’intérieur, ainsi que toute visite extérieure. Un couvre-feu est de rigueur et l’accès à la nourriture, soin et hygiène sont limités. Aucune autonomie n’y est permise et poursuivre son projet relève du parcours du combattant. Voilà ce que l’on appelle un camp « humanitaire » en Europe…
A l’intensification des contrôles aux frontières et aux conditions d’accueils, s’ajoute la réalité de l’enfermement et des expulsions. 28000 personnes furent enfermées dans les Centres de rétention administratifs (dont une centaine d’enfants, des femmes enceintes ou personnes malades) en France métropolitaine l’an passé. En Grèce, des centaines d’enfants non accompagnés sont placés en détention dans des commissariats ou dans des centres fermés. Les déportations visant à décourager les exilés vont bon train, comme par exemple celles du nord de l’Italie vers le sud (Bari, Pouilles, Sardaigne) dans des endroits éloignés qui leur coûtera encore des efforts pour revenir. De plus, des déportations directes depuis des pays d’Europe dans des pays en guerre réputés « non surs », pour reprendre les termes officiels, sont rendues possibles par le biais d’accords passés entre pays Européens et pays tiers. 48 personnes originaires du Soudan furent déportées par avion depuis Turin dans leur pays le 24 août après avoir été raflés à Vintimille. Ces accords viennent également renforcer les mesures de protection à l’extérieur des frontières européennes, moyennant un chantage à l’aide au développement9.
Face à ce triste tableau où l’on constate que la richesse et la protection d’un territoire valent plus que les vies humaines, il est plus que temps d’agir et dénoncer la politique mortifère de l’UE et de ses états. L’ouverture des frontières ne pourra être effective qu’avec la fin d’un système basé sur l’exploitation et la répression.
Septembre 2016
1Propos recueillis dans un rapport datant de septembre 2016 sur les enfants non accompagnés détenus en Grèce. https://www.hrw.org/fr/news/2016/09/08/grece-des-enfants-migrants-sont-detenus-dans-des-conditions-deplorables
2 Les trois dirigeants Européens Hollande, Merckel et Ramzi déclarent le 22 août sur un navire de guerre au large de Naples la surveillance des frontières et une meilleur coordination militaire leur priorité pour relancer l’Europe. Donald Tusk, président du Conseil Européen affirme avant le commencement du G20 en Chine début septembre que les capacités de l’Europe en terme d’immigration « ont presque atteint leurs limites »…
3http://www.migreurop.org/article2716.html?lang=fr
4https://cevennessansfrontieres.noblogs.org/post/2016/08/15/compte-rendu-de-laction-contre-la-militarisation-a-sospel-06/
5https://paris-luttes.info/la-situation-des-migrants-empire-6553?lang=fr
6https://paris-luttes.info/montreuil-les-rroms-toujours-a-la-6610?lang=fr
7https://paris-luttes.info/vacances-d-ete-vacance-d-humanite-6541?lang=fr
8https://calaismigrantsolidarity.wordpress.com/2016/08/29/de-lhuile-sur-le-feu/
9https://cevennessansfrontieres.noblogs.org/files/2016/06/Sur-la-politique-dexternalisation.pdf