Ci-dessous un texte rédigé par plusieurs membres du collectif en vue de la soirée organisée le samedi 6 février sur l’accueil des réfugiés en Cévennes (voir message plus bas pour plus d’infos)…
Sur les flux migratoires et leur gestion
La gestion des frontières et des populations qui les traversent s’accompagne de dispositifs complexes, qui agissent à l’intérieur comme à l’extérieur des territoires.
A l’heure actuelle, alors que l’armée est déployée aux frontières dans une évidente opération de dissuasion, une agence européenne privée, appelée FRONTEX reçoit des financements colossaux pour coordonner les actions militaires de surveillance et de blocage. Cette posture belliqueuse a des conséquences directes : les personnes cherchant à passer une frontière mettent toujours plus leur vie en danger. En 2015 on dénombre plus de 3500 mort-e-s en Méditerranée entre le début de l’année et le mois de novembre. Près de 30000 en vingt ans. Cet état de guerre et la mise en commun des moyens de contrôle rendent le franchissement des murs de la forteresse encore plus périlleux. Par exemple il y a deux ans, le 6 février 2014, tandis qu’environ 500 migrant-e-s tentaient de traverser à la nage les clôtures de Ceuta, l’enclave espagnole en Afrique, 15 personnes sont mortes noyées après que la Guardia Civil leur ait tiré dessus au flashball et avec des gaz lacrymogènes.
Dans le même temps, et pour celles et ceux qui arrivent à rentrer sur le territoire, les possibilités d’accéder à un séjour régulier se restreignent. Les demandes d’asile ne concernent que certain-e-s migrant-e-s, notamment les réfugié-e-s de guerre, et ne sont acceptées qu’à hauteur de 15 %. La possibilité d’obtenir un titre de séjour de longue durée est aujourd’hui quasiment inexistante. Cette logique de fermeture des voies légales de régularisation s’accompagne d’un contrôle policier accru. Outre les contrôles d’identité au faciès, de nombreuses rafles ont lieu ainsi qu’un harcèlement sur des lieux stratégiques pour les migrant-e-s. La situation à Calais cristallise cet acharnement, les interventions des forces de l’ordre sont régulières avec pour objectif de vider la Jungle, en déportant massivement les personnes. Ces contrôles sont donc un moyen pour « nettoyer » le territoire des personnes en situation irrégulière, ainsi qu’un outil pour le maintient de l’ordre et la gestion des populations. La stratégie est au reflux, avec notamment les accords Dublin 2 qui permettent d’expulser les personnes vers le premier pays où elles ont été contrôlées lors de leurs migrations.
Cette gestion des flux par les Etats répond aux besoins de l’économie capitaliste. Un besoin massif de main d’œuvre rend les frontières plus poreuses, tandis que les contrôles seront significativement renforcés lorsque le marché du travail est saturé. Dans le contexte économique actuel, les états européens œuvrent ensemble à une fermeture militarisée des frontières. Ce renforcement du contrôle fait suite à une « répartition » du flux entre les différents pays européens. Cette gestion de l’immigration pour la production s’illustre de plusieurs manières. En France on entend parler depuis environ une quinzaine d’années d’immigration choisie sur des critères qui correspondent aux secteurs d’embauches. On peut aussi évoquer l’exemple des « maquiladoras », usines frontalières où la main d’œuvre mexicaine bon marché fut absorbée par les Etats-Unis. De la même manière l’Espagne a su profiter, pour que la culture hors sol en Andalousie soit rentable, de la main d’œuvre que représentent les clandestin-e-s. Ainsi la gestion des centres de rétention dans les enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta a pu s’apparenter au fonctionnement d’agence de travail intérimaire : les besoins de main d’œuvres dans les serres ont suscité les entrées sur le territoire, puis le besoin tari la frontière s’est renforcée.
La chasse aux sans papiers est aussi un business florissant. Des entreprises privées construisent des camps, des centres de rétention et développent des technologies de contrôle des frontières. Certaines associations reçoivent une bonne part de subvention en acceptant d’intervenir dans les centres de rétention et lors d’expulsions. Les risques liés aux passages de frontières permettent aussi aux mafias un certain contrôle, la clandestinité est un secteur de choix pour les exploiteur-e-s de tout horizon. Les flux migratoires sont une monnaie d’échange pour certains états, un moyen de pression pour d’autres. On a put ainsi voir l’Europe accorder quelques milliards à la Turquie pour « endiguer » les réfugiés syriens, la Grèce se voir menacer d’exclusion si elle ne ferme pas ses frontières, etc.
Sur l’élan d’accueil et les impasses de la charité
S’il est clair que l’élan de solidarité envers les migrant-e-s est préférable à la xénophobie ambiante, il nous semble important de soulever quelques observations et questionnements.
Ces derniers temps la réalité des sans papiers s’est vue désignée sous le terme d’« afflux de réfugié-e-s », accompagnée d’images de milliers de personnes en exode fuyant en boat people les bombardements, le chaos et la dictature. Ce changement de langage est entretenu par les médias et le pouvoir, et accentue la distinction entre les dit-e-s « réfugié-e-s » et « migrant-e-s économiques ». Ceux qui viennent de zones considérées sensibles entrent dans les critères de demande d’asile, les autres sont pour la plupart expulsés. Les régions « sensibles » changent, ne sont définies qu’en fonction des intérêts ponctuels de l’Europe, et il nous semble complexe d’opposer « zones de conflits » et zones de pauvreté. D’un autre côté, faisant face à l’émoi de la population, les États affirment mettre en place une prise en charge des situations relevant de « catastrophe humanitaire ». Pourtant si l’on examine concrètement ces conditions d’accueil on y retrouve la même logique de contrôle et de tri.
L’exemple des Centre d’Accueil et D’orientation, appelés centre de « répit », est à ce titre très explicite. Présentés comme une solution d’accueil, il sont en fait mis en place uniquement dans le but de désengorger la Jungle de Calais. Les personnes acceptant la proposition d’intégrer ces centres sont accueillies pour une durée limitée, durant laquelle leur projet migratoire est remis en cause. Trois alternatives existent, déposer une demande d’asile en France, accepter un renvoi dans le cadre des accords Dublin II (vers le premier pays d’entrée en Europe), ou accepter un retour au pays. D’autre part, les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) ne répondent pas non plus aux besoins d’hébergement, ils proposent une capacité d’environ 30 000 places pour plus de 70 000 demandes. Lorsqu’une demande d’asile est déboutée, les personnes sont expulsées des CADA en plus de recevoir une obligation de quitter le territoire (OQTF). Entrer dans les rouages institutionnels présente donc un risque important d’expulsion, en plus de devoir démontrer sa bonne volonté en multipliant les preuves « d’intégration ».
L’accueil au niveau local via les institutions peut également soulever un certain nombre de questions. En premier lieu, les mairies ont été sollicitées pour mettre en place des dispositifs d’accueil de réfugié-e-s. La procédure est d’en référer à la préfecture qui enregistre les demandes et les possibilités d’hébergements. Les demandeur-e-s d’asiles qui y accéderont seront choisis par les services de l’État. Les délais sont longs et de nombreuses mairies attendent encore que des personnes viennent habiter les logements mis à disposition. Sur quels critères les personnes sont «sélectionnées»? Et qu’adviendra t-il en cas de rejet d’une demande d’asile? Quelle est alors la possibilité pour les autres migrant-e-s d’être hébergé-e-s? Quelles autres formes d’organisation existent au delà des structures officielles ? Quelle place reste à la lutte pour l’ouverture des frontières si l’on doit s’adresser à l’Etat pour s’organiser ?
Nous observons néanmoins des tentatives pour échapper aux mécanismes de contrôle et de tri, qui débordent les structures existantes, qui évitent d’infantiliser ou de victimiser des migrant-e-s en s’intéressant à leurs volontés et leur parcours, même si ce n’est pas toujours évident. Des lieux s’établissent où il est possible de s’organiser, des particuliers ouvrent leurs maisons à des personnes même si elles sont menacées d’expulsion, des réseaux de solidarité se tissent entre différentes réalités. Bien souvent la répression est féroce, comme nous avons pu le constater à Vintimille lors de l’expulsion du campement No Border et l’arrestation de plusieurs personnes en septembre, où lors des opérations policières régulières à Calais.
Localement, des initiatives d’accueil existent et cherchent à être soutenues, des pratiques se diffusent pour apporter un soutien matériel comme les collectes, les cantines et les différentes caisses de solidarités. Mais malgré tout, ces différentes expériences se heurtent aux limites de l’action humanitaire, à l’urgence et à l’épuisement. Il semble important de se retrouver pour lutter collectivement et affirmer la liberté de circulation et d’installation pour toutes et tous. Au delà de l’accueil des sans papiers et la volonté de sortir de l’entre soi en tissant des liens d’égal-e à égal-e, la solidarité s’exprime aussi dans les mobilisations pour fermer les centres de rétention, en s’organisant pour prévenir des contrôles et en permettant d’y échapper, en facilitant des passages ou en attaquant directement les barbelés qui s’érigent le long des frontières, et bien d’autres moyens qui restent à imaginer.