The Line

Article repris du site Calais Migrant Solidarity, publié le 24 août 2016.

Règle numéro un pour les toilettes : frappe toujours avant d’essayer d’ouvrir la porte. Prie pour que ce que tu trouves derrière la porte ne déborde pas. Tiens la porte pour te protéger du vent et des autres personnes. Laisse traîner tes mains le moins possible. Retiens ta respiration. Couvre ton visage avec tout ce que tu peux.

Règle numéro un pour les tentes : fais attention à ce que personne ne te suive. Des mains, des mains partout. Tu ferais mieux de ne pas marcher seul la nuit. Tu ferais mieux de ne pas être une femme. En fait, tu ferais probablement mieux de ne pas être là du tout. Mais ok, tu es là. Des gens t’appellent. Des gens sifflent. Des gens rient. Certains sont sympas, d’autres pas.

Des déchets et des vêtements boueux répandus sur le sol, vols, de longues “lines” pour réussir à se procurer une quantité ridicule de nourriture, différents âges et différentes langues, de nouveaux amis, des cinglés, de l’alcool, de la drogue. Tu n’emmènerais jamais ta fille de 4 mois là-bas.

Ca pourrait être le début du récit d’un des festivals où tu as probablement été cet été.

Mais ça ne l’est pas.

Oui, il y a une tente de premiers secours. Oui il y a un Welcome Point, bien qu’il soit à court de dons et fermé maintenant. Il y a aussi beaucoup d’autres services, qui fonctionnent plus ou moins.

Il y a aussi des écoles. L’une d’elles a été complétement détruite par un incendie il y a quelques jours, ainsi que les cabanes qui l’entouraient et dans lesquelles habitaient les 14 réfugiés soudanais qui s’occupaient de l’école. Ils avaient été “relogés” à titre temporaire dans des tentes, mais la police leur a demandé de les enlever.

« …la veille… [la police] est venue et a dit qu’il ne s’agissait pas d’une école parce qu’il y avait des sacs de couchage. Ils ont forcé les gars à dégager tout ce qui servait à dormir ou vivre et qui n’avait pas de rapport avec l’école ou l’éducation. Ce jour-là ils ont laissé une tente debout parce qu’il y avait des tables et des chaises (signe que c’était bien une école). Ils étaient sans-merci et certains d’entre eux se sont permis des commentaires et des menaces horriblement racistes » raconte une témoin de la descente de police.

Et il y a eu d’autres feus. Un viol la nuit dernière. Beaucoup de bagarres, de surpopulation et de tensions. Des descentes de police et de la violence. Une zone classée Seveso : qui pourrait oublier l’odeur des usines chimiques Tioxide et GrafTech qui constituent le voisinage ?

D’après le syndicat de la police, une moyenne de 100 grenades lacrymogènes sont tirées chaque jour depuis Octobre 2015.

Tu fais le choix d’aller un festival l’été. Aucune des personnes bloquées à Calais n’avaient envie de vivre dans la Jungle. Aucun festival dans les dernières années. Aucun festival n’est autant inhospitalier, aucun festival ne se base sur la maltraitance et la négation de l’Homme en tant qu’« Être Humain ».

De la premier chant du muezzin, passant par les cris des mouettes jusqu’à le son d’une sirène, tout le monde déteste “the Line”.

Il y a une « line » pour la nourriture, mais pas assez pour que tout le monde puisse se coucher le ventre plein.

Il y a une « line » pour avoir les toilettes les plus propres, pendant que des rats courent joyeusement et librement à travers les lieux de vie.

Il y a un fossé aussi grand que le sont ces « lines » entre être aidé et se sentir inutile, à mi-chemin entre vivant et survivant.

Il y a un fossé entre la France et l’Angleterre.

Si l’Etat veut mettre fin aux conditions indignes dans lesquelles ces personnes survivent, c’est sur ce dernier point qu’il devrait se pencher, pas sur les restaurants les shops ou les cabanes, ni même les toilettes. C’est ce fossé que ces Hommes veulent traverser et c’est donc à partir de ce point que nous devrions commencer.

En l’effaçant.

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